Les contes grivois de Jean de Lafontaine

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djef24
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Les contes grivois de Jean de Lafontaine

Message non lu par djef24 »

CONTES CHOISIS de Mr de Lafontaine par François Xavier Micheloud : c'est la mention que porte la plupart des recueils de contes et fables de Lafontaine, actuels et passés. Lions, renards, moutons enseignent au lecteur la prudence, l'économie et la fidélité, et Lafontaine est dépeint comme un moraliste animalier, mari fidèle et père exemplaire. Mais pourquoi donc choisis ?
J'ai découvert en feuilletant une édition hollandaise de 1709 (posthume) des contes licencieux qui ne figuraient pas dans l'éditon princeps ni dans aucunes des éditions du vivant de Lafontaine. C'est qu'on avait éliminés des receuils courant la vingtaine de contes grivois jugés peu propices à l'édification de la jeunesse. On voit dans ces contes nonnes, curés, hommes mariés et jouvencelles gaiement caracoler dans les jeux d'amour, l'histoire se terminant comme d'habitude par une morale, gaillarde celle-là. Les contes choisis ne sont donc des contes censurés, et c'est bien dommage au vu de leur qualité.

L'édition d'Amsterdam de 1709
Où j'ai trouvé les contes et les vignettes qui illustrent ce site
Photo du frontispice de l'édition d'Amsterdam de 1709 - cliquez pour une image plus grande

Aux esprits chagrins qui me reprocheraient d'avoir scanné un livre aussi rare au lieu de le ménager en le laissant dans son rayonnage, je réponds d'avance que je préfère que cent personnes puissent voir la richesse des ces contes et des vignettes qui les décorent plutôt que de vouloir à tout prix préserver la reliure d'un livre que je serais probablement le seul à ouvir pour les cinquante prochaines années. La digitalisation permet de reproduire des documents de manière très précise une fois pour toute et de les offrir au public à un coût marginal ridicule, profitons en.


Epitaphe de Mr de la Fontaine
Faites par luy-même

Jean de Lafontaine 1621-1695

Jean s'en alla comme il était venu,
Mangeant son fonds après son revenu,
Croyant le bien chose peu nécessaire.
Quant à son temps bien sut le dispenser,
Deux part [il] en fit, dont il soulait passer,
L'une à dormir, & l'autre à ne rien faire.

Premier conte sur dix huit à paraitre ;-)

L'Anneau


Le vieil Hans a pris une femme jeune, et il est inquiet.
Hans Carvel prit sur ses vieux ans
Femme jeune en toute manière;
Il prit aussi soucis cuisants;
Car l'un sans l'autre ne va guère.
Babeau (c'est la jeune femelle, Fille du bailli Concordat)
Fut du bon poil, ardente, et belle
Et propre à l'amoureux combat.
Carvel craignant de sa nature
Le cocuage et les railleurs,
Alléguait à la créature
Et la Légende, et l'Ecriture,
Et tous les livres les meilleurs:
Blâmait les visites secrètes;
Frondait l'attirail des coquettes,
Et contre un monde de recettes,
Et de moyens de plaire aux yeux,
Invectivait tout de son mieux.
A tous ces discours la galande
Ne s'arrêtait aucunement;
Et de sermons n'était friande
A moins qu'ils fussent d'un amant.
Cela faisait que le bon sire
Ne savait tantôt plus qu'y dire,
Eut voulu souvent être mort.
Il eut pourtant dans son martyre
Quelques moments de réconfort:
L'histoire en est très véritable.
Une nuit, qu'ayant tenu table,
Et bu force bon vin nouveau,
Carvel ronflait près de Babeau,
Il lui fut avis que le diable
Lui mettait au doigt un anneau,
Qu'il lui disait..: Je sais la peine
Qui te tourmente, et qui te gène ;
Carvel, j'ai pitié de ton cas,
Tiens cette bague, et ne la lâches.
Car tandis qu'au doigt tu l'auras,
Ce que tu crains point ne seras,
Point ne seras sans que le saches.
Trop ne puis vous remercier,
Dit Carvel, la faveur est grande.
Monsieur Satan, Dieu vous le rende,
Grand merci Monsieur l'aumônier
Là-dessus achevant son somme,
Et les yeux encore aggraves,
Il se trouva que le bon homme
Avait le doigt ou vous savez.



Contes et nouvelles en vers par Monsieur de La Fontaine
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Re: Les contes grivois de Jean de Lafontaine

Message non lu par LANDERIBA »

:hello:

:super: Comme M.de La fontaine raconte bien !!!

JP :happy1:
BZH : Bienvenue en Zone Humide Image
Vieillir, c'est la seule façon de vivre longtemps............
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Boulhaya
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Re: Les contes grivois de Jean de Lafontaine

Message non lu par Boulhaya »

M E R C I pour ces contes rarement publiés.
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djef24
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Re: Les contes grivois de Jean de Lafontaine

Message non lu par djef24 »

deuxième conte

Sœur Jeanne

Sœur Jeanne est vantée pour sa piété...
Sœur Jeanne ayant fait un poupon,
Jeûnait, vivait en sainte fille;
Était toujours en oraison;
Et toujours ses sœurs à la grille.
Un jour donc l'abesse leur dit :
Vivez comme sœur Jeanne vit,
Fuyez le monde et sa séquelle.
Toutes reprirent à l'instant :
Nous serons aussi sage qu'elle,
Quand nous en auront fait autant.



Contes et nouvelles en vers par Monsieur de La Fontaine
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XYZ
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Re: Les contes grivois de Jean de Lafontaine

Message non lu par XYZ »

Excellent ! :super:
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djef24
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Re: Les contes grivois de Jean de Lafontaine

Message non lu par djef24 »

Troisieme conte

Les lunettes

Introduction
J'AVAIS juré de laisser là les Nonnes
Car que toujours on voie en mes écrits
Même sujet & semblables personnes,
Cela pourrait fatiguer les esprits.
Ma muse met Guimpe* sur le tapis :
Et puis quoi ? Guimpe et puis Guimpe sans cesse;
Bref toujours Guimpe, & Guimpe sous la presse.
*Guimpe = toile dont les religieuses se couvrent la gorge
J'ai déjà
beaucoup
parlé des
Nonnes
C'est un peu trop, je veux que les Nonains
Fassent les tours en amour les plus fins;
Si ne faut-il pas pour cela qu'on épuise
Tout le sujet ; le moyen ? C'est un fait
Par trop fréquent, je n'aurais jamais fait
Il n'est Greffier dont la plume y suffise.
Si j'y tâchais on pourrait soupçonner
Que quelque cas m'y ferait retourner;
Tant sur ce point mes Vers font de rechutes
Toujours souvient à Robin de ses flûtes.
Apportons donc à cela quelque fin.
Je le prétends, cette tâche est ici faite.
Un jeune
garçon s'était
introduit dans
un couvent en
se faisant
passer pour
une nonne...

Il met enceinte
une des nonnes. Jadis s'était introduit un blondin
Chez les Nonains, à titre de fillette.
Il n'avait pas quinze ans, que tout ne fût :
Dont le galant passa pour Soeur Colette,
Avant que la barbe ne lui crût.

Cet entre-temps ne fut pas sans fruit; le Sire
L'employa bien; Agnès en profita.
Las quel profit! J'eusse mieux fait de dire
Qu'à Soeur Agnès malheur en arriva.
Il fallut lui élargir la ceinture;
Puis mettre au jour petite créature,
Qui ressemblait comme deux gouttes d'eaux,
Ce dit l'histoire, à la Soeur Jouvenceau.
La Prieure
ordonne que
tout le monde
se déshabille Voilà scandale & bruit dans l'abbaye.
D'où cet enfant est il plû? Comment a-t-on,
Disaient les Soeurs en riant, je vous prie,
Trouvé céans ce petit champignon?
S'il ne s'est après tout pas fait lui même.

La Prieure est en un courroux extrême.
Avoir ainsi fouillé cette maison !
Bientôt on mis l'accouchée en prison.
Puis il fallut faire enquête du père.
Comment est-il entré ? Comment sorti?
Les murs sont hauts, antique la portière,
Double la grille, & le tour très petit.
Ne serait-ce pas quelque garçon en fille?
Dit la Prieure, & parmi nos brebis,
N'aurions nous pas sous de trompeurs habits
Un jeune loup? Sus qu'on se déshabille
Je veux savoir la vérité du cas.
Le jouvenceau
invente un
stratagème Qui fut bien prit, ce fut la feinte ouaille.
Plus son esprit à songer se travaille,
Moins il espère échapper d'un tel pas.
Nécessité mère de stratagème
Lui fit...eh quoi? Foin je suis court moi-même;
Comment dire
la partie qu'il
attacha ? Où prendre un mot qui dise honnêtement
Ce que lia le père de l'enfant?
Comment trouver un détour suffisant
Pour cet endroit ? Vous avez ouï dire
Qu'au temps de jadis le genre humain avait
Fenêtre au corps; de sorte qu'on pouvait
Dans le dedans tout à son aise lire;
Chose commode aux Médecins d'alors.
Mais si d'avoir une fenêtre au corps
Etait utile, une autre au coeur au contraire
Ne l'était pas, dans les femmes surtout :
Car le moyen qu'on pût venir à bout
De rien cacher? Notre commune mère
Dame Nature y pourvût sagement
Par deux lacets de pareille mesure.
L'homme et la femme eurent également
De quoi fermer une telle ouverture.
La femme fut lacée un peu trop dru.
Ce fut la faute, elle-même qui en fut la cause;
N'étant jamais à son gré trop bien close.
L'homme à l'inverse; et le bout du tissu
Rendit en lui la nature perplexe.
Bref le lacet à l'un & l'autre sexe
Ne pût quadrer, & se trouva, dit-on,
Aux femmes court, aux hommes un peu long.
Il est facile à présent qu'on devine
Ce que lia notre jeune imprudent;
C'est donc
son vit
qu'il attacha
C'est ce surplus, ce reste de machine,
Bout de lacet aux hommes excédant.
D'un brin de fil il l'attacha de sorte
Que tout semblait aussi plat qu'aux Nonains.
Mais de le
tenir en place
devant toutes
ces filles... Mais fil ou soie, il n'est bride assez forte
Pour contenir ce que bientôt je crains
Qui ne s'échappe; amenez-moi des saints;
Amenez-moi, si vous voulez, des Anges;
Je les tiendrais créatures étranges,
Si vingt Nonains ayant tous les trésors
De ces trois Soeurs dont la Fille de l'Onde
Se fait servir : chiches & fiers appas,
Que le Soleil ne voit qu'au nouveau monde;
Car celui-ci ne les lui montre pas.
La Prieure
examine les
organes et
le vit rompt
le fil et fait
voler les
lunettes
des la Prieure La Prieure a sur son nez des lunettes,
Pour ne pas juger du cas légèrement.
Tout autour son debout vingt Nonettes
En un habit que vraisemblablement
N'avaient pas fait les tailleurs du Couvent.
Figurez-vous la question qu'au Sire
On donna alors ; besoin n'est de le dire.
Touffes de lis, proportions de corps,
Secrets appas, embonpoint & peau fine,
Fermes têtons & semblables ressorts
Eurent tôt fait jouer la machine.
Elle échappa, rompit le fil d'un coup,
Comme un coursier qui romprait son licou,
Et sauta droit au nez de la Prieure,
Faisant voler les lunettes tout à l'heure,
Jusqu'au plancher. Il s'en fallut bien peu
Qu'on ne vit tomber la lunetière.
Le jouvenceau
est découvert.
On l'attache à
un arbre et les
nonnes vont
chercher des
fouets.

Sur ce, un
meunier arrive.
Elle ne prit pas cet accident en jeu.
L'on tint Chapitre, et sur cette matière
Fut raisonné longtemps dans le logis.

Le jeune loup fut aux vieilles brebis
Livré d'abord. Elles vous l'empoignèrent,
A certain arbre en leur cour l'attachèrent,
Ayant le nez vers l'arbre tourné,
Le dos à l'air avec toute sa suite :
Et pendant que la troupe maudite
Songe comment il sera tourmenté,
Que l'une va prendre dans les cuisines
Tous les balais, et que l'autre s'en court
a l'arsenal où sont les disciplines,
Qu'une troisième enferme à double tour
Les Soeurs qui sont jeunes et pitoyables,
Bref que le fort ami du marjeolet
Ecarte ainsi toutes les détestables,
Vient un menier monté sur son mulet
Garçon carré, garçon couru des filles,
Bon compagnon, et beau joueur de quilles.
Le jouvenceau
explique au
meunier que
les nonnes
veulent se
faire besogner,
mais que lui
ne peut pas,
c'est pourquoi
il est attaché.
Le meunier
prend sa place. Oh! Oh! Dit-il, qu'est-ce là que je vois ?
Le plaisant fait! Jeune homme, je te prie,
Qui t'a mis là? Sont-ce ces soeurs, dis moi ?
Avec quelqu'une as-tu fait la folie?
Te plaisait-elle ? Etait-elle jolie ?
Car à te voir tu me portes, ma foi,
(Plus je regarde et mire ta personne)
Tout le minois d'un vrai croqueur de Nonne.
L'autre répond : Hélas ! C'est le rebours
Ces nonnes m'ont en vain prié d'amour
Voilà mon mal; Dieu me donne patience;
Car de commettre une si grande offence,
J'en ai scrupule, et fut-ce pour le Roi
me donnât-on autant d'or que moi.
Le meunier rit; et sans autre mystère
Vous le délie, et lui dit, idiot,
Scrupule toi, qui n'est qu'un pauvre hère!
C'est bien à moi qu'il appartient d'en faire!
Notre curé ne serait pas si sot.
Vite, va-t-en, après m'avoir mis à ta place;
Car tu n'es pas aussi bien que moi
Franc du collier et bon pour cet emploi:
Je n'y veux point de quartier ni de grâce :
Viennent ces soeurs, toutes, je te réponds,
Verront beau jeu, si la corde ne rompt.
L'autre ne se le fait pas deux fois redire.
Il vous l'attache, et puis lui dit adieu.
Large d'épaules on aurait vu le Sire
Attendre nu les Nonnes en ce lieu.
Les nonnes
arrivent, et
décident de
punir le
meunier,
qui ne cesse
de hurler que
lui est d'accord. L'escadron vient, porte en guise de cierges
Bâtons et fouets : procession de verges,
Qui fit la ronde autour du meunier,
Sans lui donner le temps de se montrer,
Sans l'avertir. Tout beau, dit-il, Mesdames :
Je ne suis pas cet ennemi des femmes,
Ce scrupuleux qui ne vaut rien à rien.
Employez-moi, vous verrez des merveilles;
Si je dis faux, coupez-moi les oreilles.
D'un certain jeu je viendrais bien à bout;
Mais quand au fouet, je n'y vaut rien du tout:

Qu'entend ce rustre, et que veut-il nous dire
S'écria alors une de nos sans-dents.
Quoi, tu n'es pas notre faiseur d'enfants?
Tant pis pour toi, tu paieras pour le Sire.
Nous n'avons pas de telles armes en main,
Pour demeurer en un si beau chemin.
Tiens, tiens, voilà pour l'ébat que l'on désire!
A ce discours les fouets rentrent en jeu,
Les verges vont, et pas qu'un peu;
Le meunier essaie de dire en langue intelligible,
Craignant de ne pas être bien entendu,
Mesdames, je ... ferais tout mon possible
Pour m'acquitter de ce qui vous est dû.
Plus il tient des discours de cette sorte,
Et plus la fureur de l'antique cohorte
Se fait sentir. Longtemps il s'en souvint.
Pendant qu'on donne au Maître l'anguillade,
Le mulet fait sur l'herbette gambade.
Ce qu'à la fin l'un et l'autre devint,
Je ne le sais pas, ni ne m'en inquiète.
Il me suffit d'avoir sauvé le jouvenceau.
Pendant un temps les lecteurs pour douzaine
De ces nonnes au corps gent et si beau
N'auraient pas voulu, je le parie, être dans sa peau.


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Message non lu par djef24 »

Quatrieme conte

Comment l'esprit
vient aux filles

Il existe un
jeu très
divertissant...

Il est un jeu divertissant sur tous.
Jeu dont l'ardeur souvent se renouvelle:
Il divertit & la laide & la belle.
Soit jour, soit nuit, à toute heure il est doux:
Devinez donc comment ce jeu s'appelle.

Le beau du jeu n'est connu que de l'époux;
C'est chez l'Amant que ce plaisir excelle:
De regardant pour y juger des coups,
Il n'en faut point, jamais on ne s'y querelle.
Devinez donc comment ce jeu s'appelle.

Qu'importe ? Sans s'arrêter au nom,
Ni badiner là-dessus davantage,
Je vais encore vous en dire un usage,
Il fait venir l'esprit et la raison.
Nous le voyons en maint bestiole.
La jeune Lise
se fait moquer
car elle n'a pas
d'esprit.
On lui dit
d'aller voir le
père
Bonaventure. Avant que Lise allât en cette école,
Lise n'était qu'un misérable oison.
Coudre & filer était son exercice;
Non pas le sien, mais celui de ses doigts;
Car que l'esprit eût part à cet office,
Ne le croyez pas; il n'était nul emplois
Où Lise pût avoir l'âme occupée:
Lise songeait autant que sa poupée.

Cent fois le jour sa mère lui disait,
Va-t-en chercher de l'esprit, malheureuse.
La pauvre fille aussitôt s'en allait
Chez ses voisins, affligée & honteuse,
On en riait; à la fin on lui dit,
Allez trouver le père Bonaventure,
Car il en a bonne provision.
Le père
l'emmène
dans sa
cellule et
commence à
la besogner. Incontinent la jeune créature
S'en va le voir, non sans confusion:
Elle craignait que ce ne fût dommage
De détourner un tel personnage.
Me voudrait-il faire de tels présents
A moi qui n'ai que quatorze ou quinze ans?
Vaux-je cela ? disait en soi la belle.
Son innocence augmentait ses appas:
Amour n'avait à son croc de pucelle
Dont il crût faire un aussi bon repas.

Mon Révérend, dit-elle au béat homme,
Je viens vous voir; des personnes m'ont dit,
Qu'en ce Couvent on vendait de l'esprit:
Vôtre plaisir ferait-il qu'à crédit
J'en pûsse avoir ? Non pas pour grosse somme;
A gros achat mon trésor ne suffit:
Je reviendrait s'il m'en faut davantage:
Et cependant prenez ceci en gage.
A ce discours, je sais quel anneau,
Qu'elle tirait de son doigt avec peine,
Ne venant point, le Père dit, tout beau,
Nous pourvoirons à ce qui vous amène
Sans exiger nul salaire de vous:
Il est marchande & marchande entre nous:
A l'une on vend ce qu'à d'autres on donne.

Entrez ici, suivez-moi hardiment;
Nul ne nous voit, aucun ne nous entend,
Tous sont au choeur; le portier est personne
Entièrement à ma dévotion;
Et ces murs ont de la discrétion.
Elle le suit, ils vont à sa Cellule.
Mon Révérend la jette sur un lit;
Veut la baiser, la pauvrette recule
Un peu la tête, & l'innocente dit:
Quoi, c'est ainsi qu'on donne de l'esprit?
Et vraiment oui, repart sa Révérence;
Puis il lui met la main sur le téton.
Encore ainsi ? Vraiment, oui, comment donc?
La belle prend le tout en patience:
Il suit sa pointe, & d'encore en encore,
Toujours l'esprit s'insinue & s'avance,
Tant & si bien qu'il arrive à bon port.
Lise riait du succès de la chose.
Bonaventure à ce moment là
Donne d'esprit une seconde dose.
Ce ne fut pas tout, une autre succéda;
La charité du beau Père était grande.
Et bien, dit-il, que pensez-vous du jeu?
A nous venir l'esprit tarde bien peu,
reprit la belle; & puis elle demande,
Mais s'il s'en va? Nous verrons;
D'autres secrets se mettent en usage.
N'en cherchez point, dit Lise, davantage;
De celui-ci nous recommencerons
Au pis aller, tant & tant qu'il suffise.
Le pis aller sembla le mieux à Lise.
Le secret même encore se répéta
Par le même Pater ; il aimait cette dance.
Lise lui fait une humble révérence;
Et s'en retourne en songeant à cela.
Lise songer! Quoi déjà Lise songe!
Elle fait plus, elle cherche un mensonge,
Se doutant bien qu'on lui demanderait,
Sans y manquer, d'où ce retard venait.
Lise rencontre
peu après une
amie et lui
raconte son
aventure.
Deux jours après, sa compagne Nanette
S'en vient la voir : pendant leur entretien
Lise rêvait : Nanette comprit bien,
Comme elle était clairvoyante & finette,
Que Lise alors ne rêvait pas pour rien.
Elle fait tant, tourne tant son amie,
Que celle-ci lui déclare le tout.
L'autre n'était pas à l'ouïr endormie.
Sans rien cacher, Lise de bout en bout,
De point en point lui conte le mystère,
Dimensions de l'esprit du beau Père,
Et les encore, enfin tout le Phoebé.
Mais vous, dit-elle, apprenez-nous de grâce
Quand et par qui l'esprit vous fut donné.
Anne reprit : puisqu'il faut que je fasse
Un libre aveu, c'est vôtre frère Alain
Qui m'a donné de l'esprit un beau matin.
Mon frère Alain! Alain! S'écria Lise,
Alain mon frère! Ah, je suis bien surprise;
Il n'en a point, comment en donnerait-il?
Sotte, dit l'autre. Hélas! Tu n'en sais guère:
Apprends de moi que pour pareille affaire
Il n'es besoin que l'on soit si subtil.
Ne me crois tu pas ? Sache-le de ta mère,
Elle est experte au fait dont il s'agit;
Sur ce point là l'on t'aura bientôt dit,
Vivent les sots pour donner de l'esprit.

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Re: Les contes grivois de Jean de Lafontaine

Message non lu par djef24 »

Cinquieme conte

La clochette


J'avais juré de
ne plus raconter
de frivolités.

O combien l'homme est inconstant, divers,
Faible, léger, tenant mal sa parole !
J'avais juré hautement en mes vers
De renoncer à tout conte frivole.
Et quand juré ? c'est ce qui me confond,
Depuis deux jours j'ai fait cette promesse
Puis fiez-vous à rimeur qui répond
D'un seul moment. Dieu ne fit la sagesse
Pour les cerveaux qui hantent les neuf Soeurs;
Trop bien ont-ils quelque art qui vous peut plaire,
Quelque jargon plein d'assez de douceurs;
Mais d’être sûrs, ce n'est là leur affaire.
Si me faut-il trouver, n'en fût-il point,
Tempérament pour accorder ce point,
Et supposé que quant à la matière
J'eusse failli, du moins pourrais-je pas
Le réparer par la forme en tout cas ?
Un jouvenceau voit
une fillette dans les bois. Il lui propose de la fricoter, mais elle refuse. Voyons ceci. Vous saurez que naguère
Dans la Touraine un jeune bachelier,
(Interprétez ce mot à votre guise,
L'usage en fut autrefois familier
Pour dire ceux qui n'ont la barbe grise,
Ores ce sont suppôts de sainte église)
Le nôtre soit sans plus un jouvenceau
Qui dans les près, sur le bord d'un ruisseau,
Vous cajolait la jeune bachelette
Aux blanches dents, aux pieds nus, au corps gent,
Pendant qu'Io portant une clochette,
Aux environs allait l'herbe mangeant;
Notre galant vous lorgne une fillette,
De celles-là que je viens d'exprimer:
Le malheur fut qu'elle était trop jeunette,
Et d’âge encore incapable d'aimer.
Non qu'à treize ans on y soit inhabile;
Même les lois ont avancé ce temps 8:
Les lois songeaient aux personnes de ville,
Bien que l'amour semble né pour les champs.
Le bachelier déploya sa science:
Ce fut en vain; le peu d’expérience,
L'humeur farouche, ou bien l'aversion,
Ou tous les trois, firent que la bergère,
Pour qui l'amour était langue étrangère,
Répondit mal à tant de passion.
L'amant détourne une
des vaches gardées par
la fillette et l'entraîne
dans les bois. Que fit l'amant ? croyant tout artifice
Libre en amours, sur le rez de la nuit
Le compagnon détourne une génisse
De ce bétail par la fille conduit ;
Le demeurant , non compté par la belle,
(Jeunesse n'a les soins qui sont requis)
Prit aussitôt le chemin du logis;
Sa mère étant moins oublieuse qu’elle
Vit qu'il manquait une pièce au troupeau:
Dieu sait la vie; elle tance Isabeau
Vous la renvoie, et la jeune pucelle
S'en va pleurant, et demande aux échos
Si pas un d'eux ne sait nulle nouvelle
De celle-là dont le drôle à propos
Avait d'abord étoupé la clochette;
Puis il la prit, et la faisant sonner
Il se fit suivre, et tant que la fillette
Au fond d'un bois se laissa détourner.
Jugez, lecteur, quelle fut sa surprise
Quand elle ouït la voix de son amant.
Belle, dit-il, toute chose est permise
Pour se tirer de l'amoureux tourment;
A ce discours, la fille toute en transe
Remplit de cris ces lieux peu fréquentés;
Nul n’accourut. O belles évitez
Le fond des bois et leur vaste silence.

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sixieme conte

Promettre est une chose

Jean n'a pas de succès auprès de Perette. Il lui promet de l'honorer dix fois si elle cède.
Jean amoureux de la jeune Perette,
Ayant en vain auprès d'elle employé,
Soupirs, serments, doux jargon d'amourette,
Sans que jamais rien lui fût octroyé,
Pour la fléchir, s'avisa de lui dire,
En lui montrant de ses mains les dix doigts,
Qu'il lui pourrait prouver autant de fois,
Qu'en fait d'amour il était un grand sire.
De tels signaux parlent éloquemment,
Et pour toucher ont souvent plus de force,
Que soins, soupirs, et que tendres serments.
Perette aussi se prit à cette amorce.
Déjà ses regards sont plus doux mille fois,
Plus de fierté, l'amour a pris sa place.
Tout est changé jusqu'au son de sa voix.
On souffre jean, voir e même on l'agace,
On lui sourit, on le pince parfois,
Et le galant voyant l'heure venue,
L'heure aux amants tant seulement connue,
Ne perds point de temps, prend quelques menus droits,
Va plus avant, et si bien s'insinue,
Qu'il acquitta le premier de ses doigts,
Passe au second, au tiers, au quatrième,
Reprend haleine, et fournit le cinquième.
Mais qui pourrait aller toujours de même !
Plus moi hélas ; quoique d'âge à cela,
Jean non plus, car il en resta là.
Perette se plaint de ce que Jean n'ait pas tenu sa promesse... Perette donc en son conte trompée,
Si toutefois c'est tromper que ceci,
Car j'en connais maintes très haut huppée
Qui voudrait bien être trompée ainsi ;
Perette, dis-je, abusée en son conte,
Et ne pouvant rien de plus obtenir,
Se plaint à Jean, lui dit que c'est grand honte
D'avoir promis, et de ne pas tenir.
Mais à cela notre trompeur Apôtre,
De son travail suffisamment content,
Sans s'émouvoir répond en la quittant,
Promettre est un et tenir est un autre.
Avec le temps je m'acquitterais des dix,
En attendant, Perette, adieu je vous dis.


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Septieme conte

Nicaise


Le jeune Nicaise était bien innocent
Un apprenti marchand était,
Qu 'avec droit Nicaise on nommait;
Garçon très neuf, hors sa boutique,
Et quelque peu d'arithmétique;
Garçon novice dans les tours
Qui se pratiquent en amours.
Bons bourgeois du temps de nos pères
S'avisaient tard d'être bons frères.
Ils n'apprenaient cette leçon
Qu'ayant de la barbe au menton.
Ceux d'aujourd'hui, sans qu'on les flatte,
Ont soin de s'y rendre savants
Aussitôt que les autres gens.
Le jouvenceau de vieille date,
Possible un peu moins avancé
Par les degrés n'avait passé.
Quoi qu'il en soit le pauvre sire
En très beau chemin demeura,
Se trouvant court par celui-là
C'est par l'esprit que je veux dire.
Une belle pourtant l'aima:
C'était la fille de son maître
Fille aimable autant qu'on peut l'être,
Et ne tournant autour du pot
Soit par humeur franche et sincère;
Soit qu'il fût force d'ainsi faire,
Etant tombée aux mains d'un sot.
Quelqu'un de trop de hardiesse
Ira la taxer, et moi non:
Tels procédés ont leur raison.
Lorsque l'on aime une déesse,
Elle fait ces avances-là:
Notre belle savait cela.
Son esprit, ses traits, sa richesse,
Engageaient beaucoup de jeunesse
A sa recherche: heureux serait
Celui d'entre eux qui cueillerait
En nom d'hymen certaine chose,
Qu'a meilleur titre elle promit
Au Jouvenceau ci-dessus dit.
Certain dieu parfois en dispose,
Amour nomme communément.
Il plût à la belle d'élire
Pour ce point l'apprenti marchand.
Bien est vrai (car il faut tout dire)
Qu'il était très bien fait de corps
Beau, jeune, et frais; ce sont trésors
Que ne méprise aucune dame
Tant soit son esprit précieux.
Pour une qu'Amour prend par l'âme
Il en prend mille par les yeux.
Celle-ci donc des plus galantes,
Par mille choses engageantes
Tâchait d'encourager le gars,
N'était chiche de ses regards
Le pinçait, lui venait sourire,
Sur les yeux lui mettait la main
Sur le pied lui marchait enfin.
A ce langage il ne sut dire
Autre chose que des soupirs,
Interprètes de ses désirs.
Tant fut, à ce que dit l'histoire,
De part et d'autre soupiré,
Que leur feu dûment déclaré,
Les jeunes gens, comme on peut croire,
Ne s'épargnèrent ni serments,
Ni d'autres points bien plus charmants;
Comme baisers à grosse usure;
Le tout sans compte et sans mesure.
Calculateur que fut l'amant,
Brouiller fallait incessamment:
La chose était tant infinie
Qu'il y faisait toujours abus:
Somme toute, il n'y manquait plus
Qu'une seule cérémonie.
Bon fait aux filles l'épargner.
Ce ne fut pas sans témoigner
Bien du regret, bien de l'envie
Par vous, disait la belle amie,
Je me la veux faire enseigner,
Où ne la savoir de ma vie.
Je la saurai, je vous promets;
Tenez-vous certain désormais
De m'avoir pour votre apprentie.
Je ne puis pour vous que ce point.
Je suis franche; n'attendez point
Que par un langage ordinaire
Je vous promette de me faire
Religieuse, à moins qu'un jour
L'hymen ne suive notre amour.
Cet hymen serait bien mon compte
N'en doutez point; mais le moyen ?
Vous m'aimez trop pour vouloir rien
Qui me pût causer de la honte
Tels et tels m'ont fait demander.
Mon père est prêt de m'accorder.
Moi je vous permets d'espérer
Qu'à qui que ce soit qu'on m'engage,
Soit conseiller, soit président,
Soit veille où jour de mariage
Je serai vôtre auparavant,
Et vous aurez mon pucelage.
Le garçon la remercia
Comme il put. A huit jours de là
Il s'offre un parti d'importance.
La belle dit à son ami:
Tenons-nous-en à celui-ci;
Car il est homme, que je pense,
A passer la chose au gros sas ".
La belle en étant sur ce cas,
On la promet, on la commence
Le jour des noces se tient prêt.
Entendez ceci, s'il vous plaît.
Je pense voir votre pensée
Sur ce mot-là de commencée.
C'était alors sans point d' abus
Fille promise et rien de plus.
Huit jours donnés à la fiancée,
Comme elle appréhendait encor
Quelque rupture en cet accord,
Elle diffère le négoce
Jusqu'au propre jour de la noce;
De peur de certain accident
Qui les fillettes va perdant.
On mène au moutier cependant
Notre galande encor pucelle.
Le oui fut dit à la chandelle.
L'époux voulut avec la belle
S'en aller coucher au retour.
Elle demande encor ce jour,
Et ne l'obtient qu'avecque peine.
Il fallut pourtant y passer.
Comme l'aurore était prochaine,
L'épouse au lieu de se coucher
S'habille. On eût dit une reine,
Rien ne manquait aux vêtements,
Perles, joyaux, et diamants;
Son épousé la faisait dame.
Son ami pour la faire femme
Prend heure avec elle au matin.
Ils devaient aller au jardin,
Dans un bois propre à telle affaire.
Une compagne y devait faire
Le guet autour de nos amants,
Compagne instruite du mystère.
La belle s'y rend la première,
Sous le prétexte d'aller faire
Un bouquet, dit-elle à ses gens.
Nicaise après quelques moments
La va trouver: et le bon sire
Voyant le lieu se met à dire:
Qu'il fait ici d'humidité !
Foin, votre habit sera gâté.
Il est beau: ce serait dommage.
Souffrez sans tarder davantage
Que j'aille quérir un tapis.
Eh mon Dieu laissons les habits;
Dit la belle toute piquée.
Je dirai que je suis tombée.
Pour la perte, n'y songez point:
Quand on a temps si fort à point
Il en faut user; et périssent
Tous les vêtements du pays;
Que plutôt tous les beaux habits
Soient gâtés, et qu'ils se salissent
Que d'aller ainsi consumer
Un quart d'heure: un quart d'heure est cher
Tandis que tous les gens agissent
Pour ma noce, il ne tient qu'à vous
D'employer des moments si doux.
Ce que je dis ne me sied guère:
Mais je vous chéris; et vous veux
Rendre honnête homme si je peux
En vérité, dit l'amoureux
Conserver étoffe si chère
Ne sera point mal fait à nous.
Je cours; c'est fait; je suis à vous;
Deux minutes feront l'affaire.
Là-dessus il part sans laisser
Le temps de lui rien répliquer.
Sa sottise guérit la dame:
Un tel dédain lui vint en l'âme,
Qu'elle reprit dès ce moment
Son coeur que trop indignement
Elle avait place: quelle honte !
Prince des sots, dit-elle en soi,
Va, je n'ai nul regret de roi:
Tout autre eût été mieux mon compte.
Mon bon ange a considéré
Que tu n'avais pas mérité
Une faveur si précieuse.
Je ne veux plus être amoureuse
Que de mon mari, j'en fais voeu.
Et de peur qu'un reste de feu
A le trahir ne me rengage,
Je vais sans tarder davantage
Lui porter un bien qu'il aurait,
Quand Nicaise en son lieu serait.
A ces mots, la pauvre épousée
Sort du bois, fort scandalisée.
L'autre revient, et son tapis:
Mais ce n'est plus comme jadis.
Amants, la bonne heure ne sonne
A toutes les heures du jour.
J'ai lu dans l'Alphabet d'Amour,
Qu'un galant près d'une personne
N'a toujours le temps comme il veut:
Qu'il le prenne donc comme il peut.
Tous délais y font du dommage:
Nicaise en est un témoignage.
Fort essoufflé d'avoir couru,
Et joyeux de telle prouesse,
Il s'en revient bien résolu
D'employer tapis et maîtresse.
Mais quoi, la dame au bel habit
Mordant ses lèvres de dépit
Retournait voir la compagnie;
Et de sa flamme bien guérie,
Possible allait dans ce moment,
Pour se venger de son amant,
Porter à son mari la chose
Qui lui causait ce dépit-là.
Quelle chose ? c'est celle-là
Que fille dit toujours qu'elle a.
Je te crois, mais d'en mettre jà
Mon doigt au feu, ma foi je n'ose:
Ce que je sais, c est qu'en tel cas
Fille qui ment ne pêche pas
Grâce à Nicaise notre belle
Ayant sa fleur en dépit d'elle
S'en retournait tout en grondant:
Quand Nicaise, la rencontrant
A quoi tient, dit-il à la dame,
Que vous ne m'ayez attendu ?
Sur ce tapis bien étendu
Vous seriez en peu d'heure femme.
Retournons donc sans consulter:
Venez cesser d'être pucelle;
Puisque je puis sans rien gâter
Vous témoigner quel est mon zèle
Non pas cela, reprit la belle
Mon pucelage dit qu'il faut
Remettre l'affaire à tantôt.
J'aime votre santé, Nicaise;
Et vous conseille auparavant
De reprendre un peu votre vent.
Or respirez tout à votre aise.
Vous êtes apprenti marchand;
Faites-vous apprenti galant:
Vous n'y serez pas si tôt maître
A mon égard, je ne puis être
Votre maîtresse en ce métier.
Sire Nicaise, il vous faut prendre
Quelque servante du quartier
Vous savez des étoffes vendre,
Et leur prix en perfection;
Mais ce que vaut l'occasion,
Vous l'ignorez, allez l'apprendre.

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Huitieme conte

Les Cordeliers



Les frères cordeliers s'établissent dans une nouvelle ville.

Je vous veux conter la besogne
Des bons frères de Catalogne;
Besogne ou ces frères en Dieu
Témoignèrent en certain lieu
Une charité si fervente,
Que mainte femme en fut contente,
Et crut y gagner Paradis.
Telles gens, par leurs bons avis,
Mettent à bien les jeunes âmes,
Tirent à soi filles et femmes,
Se savent emparer du coeur,
Et dans la vigne du Seigneur
Travaillent ainsi qu'on peut croire.
Et qu'on verra par cette histoire.
Au temps que le sexe vivait
Dans l'ignorance, et ne savait
Gloser encor sur l'Evangile,
(Temps à coter fort difficile)
Un essaim de frères dîmeurs,
Pleins d'appétit et beaux dîneurs,
S'alla jeter dans une ville,
En jeunes beautés très fertile.
Pour des galants, peu s'en trouvait;
De vieux maris, il en plouvait.
A l'abord une confrérie,
Par les bons pères fut bâtie,
Femme était qui n'y courut,
Qui ne s'en mît, et qui ne crut
Par ce moyen être sauvée:
Puis quand leur foi fut éprouvée,
On vint au véritable point ;
Frère André ne marchanda point;
Et leur fit ce beau petit prêche:
Si quelque chose vous empêche
D'aller tout droit en paradis,
C'est d'épargner pour vos maris,
Un bien dont ils n'ont plus que faire,
Quand ils ont pris leur nécessaire;
Sans que jamais il vous ait plu
Nous faire part du superflu.
Vous me direz que notre usage
Répugne aux dons du mariage;
Nous l'avouons, et Dieu merci
Nous n'aurions que voir en ceci,
Sans le soin de vos consciences.
La plus griève des offenses,
C'est d'être ingrate: Dieu l'a dit.
Pour cela Satan fut maudit.
Prenez-y garde; et de vos restes
Rendez grâce aux bontés célestes,
Nous laissant dîmer sur un bien,
Qui ne vous coûte presque rien.
C'est un droit, ô troupe fidèle,
Qui vous témoigne notre zèle;
Droit authentique et bien signé,
Que les papes nous ont donné;
Droit enfin, et non pas aumône:
Toute femme doit en personne
S'en acquitter trois fois le mois
Vers les frères catalanois.
Cela fonde sur l'Ecriture,
Car il n'est bien dans la nature,
(Je le répète, écoutez-moi)
Qui ne subisse cette loi
De reconnaissance et d'hommage:
Or les oeuvres du mariage,
Etant un bien, comme savez
Où savoir chacune devez,
Il est clair que dîme en est due.
Cette dîme sera reçue
Selon notre petit pouvoir.
Quelque peine qu'il faille avoir,
Nous la prendrons en patience:
N'en faites point de conscience;
Nous sommes gens qui n'avons pas
Toutes nos aises ici-bas.
Au reste, il est bon qu'on vous dise,
Qu'entre la chair et la chemise
Il faut cacher le bien qu'on fait:
Tout ceci doit être secret,
Pour vos maris et pour tout autre.
Voici trois mots d'un bon apôtre
Qui font à notre intention:
Foi, charité, discrétion.
Frère André par cette éloquence
Satisfit fort son audience,
Et passa pour un Salomon,
Peu dormirent à son sermon.
Chaque femme, ce dit l'histoire
Garda très bien dans sa mémoire,
Et mieux encor dedans son coeur,
Le discours du prédicateur.
Ce n'est pas tout, il s'exécute:
Chacune accourt; grande dispute
A qui la première paiera.
Mainte bourgeoise murmura
Qu'au lendemain on l'eût remise.
La gent qui n'aime pas la bise
Ne sachant comme renvoyer
Cet escadron prêt à payer,
Fut contrainte enfin de leur dire:
De par Dieu souffrez qu'on respire,
C'en est assez pour le présent;
On ne peut faire qu'en faisant.
Réglez votre temps sur le nôtre;
Aujourd'hui l'une, et demain l'autre.
Tout avec ordre et croyez-nous:
On en va mieux quand on va doux.
Le sexe suit cette sentence.
Jamais de bruit pour la quittance,
Trop bien quelque collation
Et le tout par dévotion.
Puis de trinquer à la commère.
Je laisse à penser quelle chère
Faisait alors frère Frappart,
Tel d'entre eux avait pour sa part
Dix jeunes femmes bien payantes,
Frisques, gaillardes, attrayantes.
Tel aux douze et quinze passait.
Frère Roc à vingt se chaussait.
Tant et si bien que les donzelles,
Pour se montrer plus ponctuelles,
Payaient deux fois assez souvent:
Dont il avînt que le couvent,
Las enfin d'un tel ordinaire,
Après avoir à cette affaire
Vaqué cinq ou six mois entiers,
Eût fait crédit bien volontiers:
Mais les donzelles scrupuleuses,
De s'acquitter étaient soigneuses,
Croyant faillir en retenant
Un bien à l'ordre appartenant.
Point de dîmes accumulées:
Il s'en trouva de si zélées,
Que par avance elles payaient.
Les beaux pères n'expédiaient
Que les fringantes et les belles,
Enjoignant aux sempiternelles
De porter en bas leur tribut:
Car dans ces dîmes de rebut
Les lais trouvaient encore à frire
Bref à peine il se pourrait dire
Avec combien de charité
Le tout était exécuté.
Il avînt qu'une de la bande,
Qui voulait porter son offrande,
Un beau soir, en chemin faisant,
Et son mari la conduisant,
Lui dit: Mon Dieu, j'ai quelque affaire
Là dedans avec certain frère,
Ce sera fait dans un moment.
L'époux répondit brusquement:
Quoi ? quelle affaire ? êtes-vous folle?
Il est minuit sur ma parole:
Demain vous direz vos pêchés:
Tous les bons pères sont couchés.
Cela n'importe, dit la femme;
Et par Dieu si, dit-il, Madame,
Je tiens qu'il importe beaucoup;
Vous ne bougerez pour ce coup.
Qu'avez-vous fait, et quelle offense
Presse ainsi votre conscience ?
Demain matin j'en suis d'accord.
Ah ! Monsieur, vous me faites tort,
Reprit-elle, ce qui me presse,
Ce n'est pas d'aller à confesse,
C'est de payer; car si j'attends,
Je ne le pourrai de longtemps;
Le frère aura d'autres affaires.
Quoi payer ? La dîme aux bons pères.
Quelle dîme ? Savez-vous pas ?
Moi je le sais ! c'est un grand cas,
Que toujours femme aux moines donne.
Mais cette dîme, ou cette aumône,
La saurai-je point à la fin ?
Voyez, dit-elle, qu'il est fin,
N'entendez-vous pas ce langage ?
C'est des oeuvres de mariage.
Quelles oeuvres ? reprit l'époux.
Et là, Monsieur, c'est ce que nous...
Mais j'aurais payé depuis l'heure.
Vous êtes cause qu'en demeure
Je me trouve présentement;
Car toujours je suis coutumière
De payer toute la première.
L'époux rempli d'étonnement,
Eut cent pensers en un moment
Il ne sut que dire et que croire.
Enfin pour apprendre l'histoire,
Il se tut, il se contraignit,
Du secret sans plus se plaignit;
Par tant d'endroits tourna sa femme,
Qu' il apprit que mainte autre dame
Payait la même pension:
Ce lui fut consolation.
Sachez, dit la pauvre innocente,
Que pas une n'en est exempte:
Votre Soeur paie à frère Aubry;
La baillie au père Fabry;
Son Altesse à frère Guillaume,
Un des beaux moines du royaume:
Moi qui paie à frère Girard,
Je voulais lui porter ma part.
Que de maux la langue nous cause!
Quand ce mari sut toute chose,
Il résolut premièrement
D'en avertir secrètement
Monseigneur, puis les gens de ville;
Mais comme il était difficile
De croire un tel cas dès l'abord,
Il voulut avoir le rapport
Du drôle à qui payait sa femme.
Le lendemain devant la dame
Il fait venir frère Girard;
Lui porte à la gorge un poignard;
Lui fait conter tout le mystère:
Puis ayant enfermé ce frère
A double clef, bien garrotté,
Et la dame d'autre côté,
Il va partout conter sa chance.
Au logis du prince il commence;
Puis il descend chez l'échevin ;
Puis il fait sonner le tocsin.
Toute la ville en est troublée.
On court en foule à l'assemblée;
Et le sujet de la rumeur,
N'est point su du peuple dîmeur.
Chacun opine à la vengeance.
L'un dit qu'il faut en diligence
Aller massacrer ces cagots;
L'autre dit qu'il faut de fagots
Les entourer dans leur repaire,
Et brûler gens et monastère.
Tel veut qu'ils soient à l'eau jetés,
Dedans leurs frocs empaquetés;
Afin que cette pépinière,
Flottant ainsi sur la rivière,
S'en aille apprendre à l'univers,
Comment on traite les pervers.
Tel invente un autre supplice,
Et chacun selon son caprice.
Bref tous conclurent à la mort:
L'avis du feu fut le plus fort.
On court au couvent tout à l'heure:
Mais, par respect de la demeure,
L'arrêt ailleurs s'exécuta:
Un bourgeois sa grange prêta.
La penaille, ensemble enfermée,
Fut en peu d'heures consumée,
Les maris sautants alentour,
Et dansants au son du tambour.
Rien n'échappa de leur colère,
Ni moinillon, ni béat père.
Robes, manteaux, et cocluchons,
Tout fut brûlé comme cochons.
Tous périrent dedans les flammes.
Je ne sais ce qu'on fit des femmes.
Pour le pauvre frère Girard,
Il avait eu son fait à part.

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neuvieme conte

Le faiseur d'oreilles et le racommodeur de moules



La jeune Alix est seule, enceinte.
Sire Guillaume allant en marchandise,
Laissa sa femme enceinte de six mois;
Simple, jeunette, et d'assez bonne guise,
Nommée Alix, du pays champenois.
Compère André l'allait voir quelquefois
A quel dessein, besoin n'est de le dire,
Et Dieu le sait: c'était un maître sire;
Il ne tendait guère en vain ses filets;
Ce n' était pas autrement sa coutume.
Sage eût été l'oiseau qui de ses rets
Se fût sauvé sans laisser quelque plume.
Alix était fort neuve sur ce point.
Le trop d'esprit ne l'incommodait point:
De ce défaut on n'accusait la belle.
Elle ignorait les malices d'Amour.
La pauvre dame allait tout devant elle,
Et n'y savait ni finesse ni tour.
Son mari donc se trouvant en emplette,
Elle au logis, en sa chambre seulette,
André survient, qui sans long compliment
La considère; et lui dit froidement:
Je m'ébahis comme au bout du royaume
S'en est allé le compère Guillaume,
Sans achever l'enfant que vous portez:
Car je vois bien qu'il lui manque une oreille
Votre couleur me le démontre assez,
En ayant vu mainte épreuve pareille.
Bonté de Dieu ! reprit-elle aussitôt,
Que dites-vous ? quoi d'un enfant monaut
J'accoucherais ? n'y savez-vous remède ?
Si da, fit-il, je vous puis donner aide
En ce besoin, et vous jurerai bien,
Qu'autre que vous ne m'en ferait tant faire.
Le mal d'autrui ne me tourmente en rien;
Fors excepté ce qui touche au compère:
Quant à ce point je m'y ferais mourir.
Or essayons, sans plus en discourir,
Si je suis maître à forger des oreilles.
Souvenez-vous de les rendre pareilles,
Reprit la femme. Allez, n'ayez souci,
Répliqua-t-il, je prends sur moi ceci.
Puis le galant montre ce qu'il sait faire.
Tant ne fut nice (encor que nice fut)
Madame Alix, que ce jeu ne lui plut.
Philosopher ne faut pour cette affaire.
André vaquait de grande affection
A son travail; faisant ore un tendon,
Ore un repli, puis quelque cartilage;
Et n'y plaignant l'étoffe et la façon.
Demain, dit-il, nous polirons l'ouvrage,
Puis le mettrons en sa perfection;
Tant et si bien qu'en ayez bonne issue.
Je vous en suis, dit-elle, bien tenue:
Bon fait avoir ici-bas un ami.
Le lendemain, pareille heure venue,
Compère André ne fut pas endormi.
Il s'en alla chez la pauvre innocente.
Je viens, dit-il, toute affaire cessante,
Pour achever l'oreille que savez.
Et moi, dit-elle, allais par un message
Vous avertir de hâter cet ouvrage:
Montons en haut. Dès qu'ils furent montés,
On poursuivit la chose encommencée.
Tant fut ouvré , qu'Alix dans la pensée
Sur cette affaire un scrupule se mit;
Et l'innocente au bon apôtre dit:
Si cet enfant avait plusieurs oreilles,
Ce ne serait à vous bien besogné.
Rien, rien, dit-il; à cela j'ai soigné;
Jamais ne faux en rencontres pareilles.
Sur le métier l'oreille était encor,
Quand le mari revient de son voyage;
Caresse Alix, qui du premier abord:
Vous aviez fait, dit-elle, un bel ouvrage.
Nous en tenions sans le compère André;
Et notre enfant d'une oreille eût manqué.
Souffrir n'ai pu chose tant indécente.
Sire André donc, toute affaire cessante
En a fait une: il ne faut oublier
De l'aller voir, et l'en remercier;
De tels amis on a toujours affaire.
Sire Guillaume, au discours qu'elle fit,
Ne comprenant comme il se pouvait faire
Que son épouse eût eu si peu d'esprit,
Par plusieurs fois lui fit faire un récit
De tout le cas; puis outre de colère
Il prit une arme à côte de son lit;
Voulut ruer la pauvre Champenoise,
Qui prétendait ne l'avoir mérité.
Son innocence et sa naïveté
En quelque sorte apaisèrent la noise.
Hélas Monsieur, dit la belle en pleurant,
En quoi vous puis-je avoir fait du dommage ?
Je n'ai donne vos draps ni votre argent;
Le compte y est; et quant au demeurant,
André me dit quand il parfit l'enfant,
Qu'en trouveriez plus que pour votre usage:
Vous pouvez voir, si je mens tuez-moi;
Je m'en rapporte à votre bonne foi.
L'époux sortant quelque peu de colère,
Lui répondit: Or bien, n'en parlons plus;
On vous l'a dit, vous avez cru bien faire,
J'en suis d'accord, contester là-dessus
Ne produirait que discours superflus:
Je n'ai qu'un mot. Faites demain en sorte
Qu'en ce logis j'attrape le galant:
Ne parlez point de notre différend;
Soyez secrète, ou bien vous êtes morte
Il vous le faut avoir adroitement;
Me feindre absent en un second voyage,
Et lui mander, par lettre ou par message,
Que vous avez à lui dire deux mots.
André viendra; puis de quelques propos
L'amuserez; sans toucher à l'oreille;
Car elle est faite, il n y manque plus rien.
Notre innocente exécuta très bien
L'ordre donné; ce ne fut pas merveille;
La crainte donne aux bêtes de l'esprit.
André venu, l'époux guère ne tarde,
Monte, et fait bruit. Le compagnon regarde
Où se sauver: nul endroit il ne vit,
Qu'une ruelle en laquelle il se mit.
Le mari frappe; Alix ouvre la porte;
Et de la main fait signe incontinent,
Qu'en la ruelle est caché le galant.
Sire Guillaume était armé de sorte
Que quatre Andrés n'auraient pu l'étonner.
Il sort pourtant, et va quérir main forte,
Ne le voulant sans doute assassiner;
Mais quelque oreille au pauvre homme couper
Peut-être pis, ce qu'on coupe en Turquie,
Pays cruel et plein de barbarie.
C'est ce qu'il dit à sa femme tout bas:
Puis l'emmena sans qu'elle osât rien dire;
Ferma très bien la porte sur le sire.
André se crut sorti d'un mauvais pas,
Et que l'époux ne savait nulle chose.
Sire Guillaume, en rêvant à son cas
Change d'avis, en soi-même propose
De se venger avecque moins de bruit,
Moins de scandale, et beaucoup plus de fruit.
Alix, dit-il, allez quérir la femme
De sire André; contez-lui votre cas
De bout en bout; courez, n'y manquez pas.
Pour l'amener vous direz à la dame
Que son mari court un péril très grand;
Que je vous ai parlé d'un châtiment
Qui la regarde, et qu'aux faiseurs d'oreilles
On fait souffrir en rencontres pareilles:
Chose terrible, et dont le seul penser
Vous fait dresser les cheveux à la tête;
Que son époux est tout près d'y passer;
Qu'on n'attend qu'elle afin d'être à la fête.
Que toutefois, comme elle n'en peut mais,
Elle pourra faire changer la peine;
Amenez-la, courez; je vous promets
D'oublier tout moyennant qu'elle vienne.
Madame Alix, bien joyeuse s'en fut
Chez sire André dont la femme accourut
En diligence, et quasi hors d'haleine;
Puis monta seule, et ne voyant André,
Crut qu'il était quelque part enfermé.
Comme la dame était en ces alarmes,
Sire Guillaume ayant quitté ses armes
La fait asseoir, et puis commence ainsi:
L'ingratitude est mère de tout vice.
André m'a fait un notable service;
Par quoi, devant que vous sortiez d'ici,
Je lui rendrai si je puis la pareille.
En mon absence il a fait une oreille
Au fruit d'Alix: je veux d'un si bon tour
Me revancher, et je pense une chose:
Tous vos enfants ont le nez un peu court:
Le moule en est assurément la cause.
Or je les sais des mieux raccommoder.
Mon avis donc est que sans retarder
Nous pourvoyions de ce pas à l'affaire.
Disant ces mots, il vous prend la commère,
Et près d'André la jeta sur le lit
Moitié raisin, moitié figue, en jouit.
La dame prit le tout en patience;
Bénit le ciel de ce que la vengeance
Tombait sur elle, et non sur sire André;
Tant elle avait pour lui de charité.
Sire Guillaume était de son côté
Si fort ému, tellement irrité,
Qu'à la pauvrette il ne fit nulle grâce
Du talion, rendant à son époux
Fèves pour pois, et pain blanc pour fouace.
Qu'on dit bien vrai que se venger est doux !
Très sage fut d'en user de la sorte:
Puisqu'il voulait son honneur réparer,
Il ne pouvait mieux que par cette porte
D'un tel affront à mon sens se tirer.
André vit tout, et n'osa murmurer;
Jugea des coups; mais ce fut sans rien dire;
Et loua Dieu que le mal n'était pire.
Pour une oreille il aurait composé .
Sortir à moins, c'était pour lui merveilles:
Je dis à moins; car mieux vaut, tout prise,
Cornes gagner que perdre ses oreilles.

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Re: Les contes grivois de Jean de Lafontaine

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dixieme conte

Le cas de conscience

... Les gens du pays des fables
Donnent ordinairement
Noms et titres agréables
Assez libéralement.
Cela ne leur coûte guère.
Tout leur est nymphe ou bergère
Et déesse bien souvent.
Horace n’y faisait faute.
Si la servante de l’hôte
Au lit de notre homme allait
C’était aussitôt Ilie
C’était la nymphe Egérie,
C’était tout ce qu'on voulait.
Dieu, par sa bonté profonde,
Un beau jour mit dans le monde
Apollon son serviteur;
Et l'y mit justement comme
Adam le nomenclateur,
Lui disant: Te voilà, nomme.
Suivant cette antique loi
Nous sommes parrains du Roi.
De ce privilège insigne,
Moi faiseur de vers indigne
Je pourrais user aussi
Dans les contes que voici;
Et s'il me plaisait de dire,
Au lieu d'Anne Sylvanire,
Et pour messire Thomas
Le grand druide Adamas,
Me mettrait-on à l'amende ?
Non: mais tout considère,
Le présent conte demande
Qu'on dise Anne et le curé.
Anne, puisqu'ainsi va, passait dans son village
Pour la perle et la parangon.
Etant un jour près d'un rivage,
Elle vit un jeune garçon
Se baigner nu. La fillette était drue,
Honnête toutefois. L'objet plut à sa vue.
Nuls défauts ne pouvaient être au gars reprochés:
Puis dès auparavant aimé de la bergère,
Quand il en aurait eu l'Amour les eût cachés;
Jamais tailleur n'en sut mieux que lui la manière.
Anne ne craignait rien; des saules la couvraient
Comme eût fait une jalousie:
Ca et là ses regards en liberté couraient
Où les portait leur fantaisie,
Ca et là, c’est-à-dire aux différents attraits
Du garçon au corps jeune et frais,
Blanc, poli, bien formé, de taille haute et drète,
Digne enfin des regards d'Annette.
D'abord une honte secrète
La fit quatre pas reculer,
L'amour huit autres avancer:
Le scrupule survint, et pensa tout gâter.
Anne avait bonne conscience:
Mais comment s'abstenir ? est-il quelque défense
Qui l'emporte sur le désir
Quand le hasard fait naître un sujet de plaisir ?
La belle à celui-ci fit quelque résistance.
A la fin ne comprenant pas
Comme on peut pêcher de cent pas,
Elle s'assit sur l'herbe; et très fort attentive
Annette la contemplative
Regarda de son mieux. Quelqu'un n'a-t-il point vu
Comme on dessine sur nature ?
On vous campe une creature,
Une Eve, ou quelque Adam, j'entends un objet nu ;
Puis force gens assis comme notre bergère
Font un crayon conforme à cet original.
Au fond de sa mémoire Anne en sut fort bien faire
Un qui ne ressemblait pas mal.
Elle y serait encor si Guillot (c'est le sire)
Ne fût sorti de l'eau. La belle se retire
A propos; l'ennemi n’était plus qu'à vingt pas,
Plus fort qu’à l'ordinaire, et c'eût été grand cas
Qu’après de semblables idées
Amour en fut demeuré là:
IL comptait pour siennes déjà
Les faveurs qu'Anne avait gardées.
Qui ne s'y fût trompé ? plus je songe à cela,
Moins je le puis comprendre. Anne la scrupuleuse
N'osa quoi qu'il en soit le garçon régaler;
Ne laissant pas pourtant de récapituler
Les points qui la rendaient encor toute honteuse.
Pâques vint, et ce fut un nouvel embarras.
Anne faisant passer ses pêchés en revue,
Comme un passe-volant mit en un coin ce cas;
Mais la chose fut aperçue.
Le curé messire Thomas
Sut relever le fait; et comme l'on peut croire
En confesseur exact il fit conter l'histoire,
Et circonstancier le tout fort amplement,
Pour en connaître l’importance,
Puis faire aucunement cadrer la pénitence,
Chose où ne doit errer un confesseur prudent.
Celui-ci malmena la belle
Etre dans ses regards à tel point sensuelle !
C'est, dit-il, un très grand pêché.
utant vaut l'avoir vu que de l'avoir touche.
Cependant la peine imposée
Fut à souffrir assez aisée.
Je n’ en parlerai point; seulement on saura
Que Messieurs les curés, en tous ces cantons-là,
Ainsi qu'au nôtre avaient des dévots et dévotes,
Qui pour l'examen de leurs fautes
Leur payaient un tribut; qui plus qui moins selon
Que le compte à rendre était long.
Du tribut de cet an Anne étant soucieuse,
Arrive que Guillot pèche un brochet fort grand:
Tout aussitôt le jeune amant
Le donne a sa maîtresse; elle toute joyeuse
Le va porter du même pas
Au curé messire Thomas.
Il reçoit le présent, il l'admire, et le drôle
D'un petit coup sur l’épaule
La fillette régala,
Lui sourit, lui dit: Voilà
Mon fait, joignant à cela
D'autres petites affaires:
C’était jour de Calende, et nombre de confrères
Devaient dîner chez lui. Voulez-vous doublement
M'obliger ? dit-il à la belle;
Accommodez chez vous ce poisson promptement.
Puis l'apportez incontinent,
Ma servante est un peu nouvelle.
Anne court; et voilà les prêtres arrivés.
Grand bruit, grande cohue, en cave on se transporte.
Aucuns des vins sont approuvés:
Chacun en raisonne à sa sorte.
On met sur table; et le doyen
Prend place en saluant toute la compagnie.
Raconter leurs propos serait chose infinie;
Puis le lecteur s'en doute bien.
On permuta cent fois sans permuter pas une.
Santés, Dieu sait combien: chacun a sa chacune
But en faisant de l’œil; nul scandale: on servit
Potage, menus mets, et même jusqu'au fruit
Sans que le brochet vînt; tout le dîner s’achève
Sans brochet pas un brin. Guillot sachant ce don
L’avait fait rétracter pour plus d'une raison.
Légère de brochet la troupe enfin se lève.
Qui fut bien étonné, qu'on le juge: il alla
Dire ceci, dire cela
A Madame Anne le jour même
L'appela cent fois sotte, et dans sa rage extrême
Lui pensa reprocher l’aventure du bain.
Traiter votre cure, dit-il, comme un coquin !
Pour qui nous prenez-vous ? pasteur sont-ce canailles ?
Alors par droit de représailles
Anne dit au prêtre outragé:
Autant vaut l’avoir vu que de l'avoir mangé.


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Onzieme conte

Les aveux indiscrets

La jeune mariée n'est pas si pure qu'elle ni paraît. Son mari non plus.
Paris, sans pair, n'avait en son enceinte
Rien dont les yeux semblassent si ravis
Que de la belle, aimable et jeune Aminte.
Fille à pourvoir, et des meilleurs partis.
Sa mère encor la tenait sous son aile
Son père avait du comptant et du bien
Faites état qu’il ne lui manquait rien.
Le beau Damon s'étant pique pour elle
Elle reçut les offres de son cœur:
Il fit si bien l'esclave de la belle
Qu'il en devint le maître et le vainqueur:
Bien entendu sous le nom d’hyménée:
Pas ne voudrais qu'on le crût autrement.
L'an révolu ce couple si charmant
Toujours d'accord, de plus en plus s’aimant
(Vous eussiez dit la première journée)
Se promettait la vigne de l’abbé;
Lorsque Damon, sur ce propos tombé
Dit à sa femme: Un point trouble mon âme
Je suis épris d'une si douce flamme
Que je voudrais n'avoir aimé que vous,
Que mon cœur n’eût ressenti que vos coups
Qu'il n’eût logé que votre seule image
Digne, il est vrai, de son premier hommage.
J’ai cependant éprouvé d'autres feux;
JI'en dis ma coulpe, et j'en suis tout honteux.
Il m’en souvient, la nymphe était gentille,
Au fond d'un bois, l'Amour seul avec nous;
Il fit si bien, si mal, me direz-vous,
Que de ce fait il me reste une fille.
Voilà mon sort, dit Aminte à Damon:
J'étais un jour seulette à la maison;
Il me vint voir certain fils de famille,
Bien fait et beau, d’agréable façon;
J'en eus pitié; mon naturel est bon;
Et pour conter tout de fil en aiguille,
Il m'est resté de ce fait un garçon.
Elle eut à peine achevé la parole,
Que du mari l'âme jalouse et folle
Au désespoir s'abandonne aussitôt.
Il sort plein d’ire, il descend tout d'un saut,
Rencontre un bât, se le met, et puis crie:
Je suis bâté. Chacun au bruit accourt,
Les père et mère, et toute la mégnie,
Jusqu'aux voisins. Il dit, pour faire court,
Le beau sujet d'une telle folie.
II ne faut pas que le lecteur oublie
Que les parents d'Aminte, bons bourgeois,
Et qui n'avaient que cette fille unique,
La nourrissaient, et tout son domestique,
Et son époux, sans que, hors cette fois,
Rien eût troublé la paix de leur famille.
La mère donc s'en va trouver sa fille;
Le père suit, laisse sa femme entrer,
Dans le dessein seulement d’écouter.
La porte était entrouverte; il s’approche;
Bref il entend la noise et le reproche
Que fit sa femme à leur fille en ces mots:
Vous avez tort: j'ai vu beaucoup de sots,
Et plus encor de sottes en ma vie;
Mais qu'on pût voir telle indiscrétion,
Qui l'aurait cru ? car enfin, je vous prie,
Qui vous forçait ? quelle obligation
De révéler une chose semblable ?
Plus d'une fille a forligné; le diable
Est bien subtil; bien malins sont les gens.
Non pour cela que l’on soit excusable:
Il nous faudrait toutes dans des couvents
Claquemurer jusques à l’hyménée.
Moi qui vous parle ai même destinée;
J'en garde au cœur un sensible regret.
J'eus trois enfants avant mon mariage
A votre père ai-je dit ce secret ?
En avons-nous fait plus mauvais ménage ?
Ce discours fut à peine proféré,
Que l’écoutant s'en court, et tout outre
Trouve du bât la sangle et se l'attache,
Puis va criant partout: Je suis sanglé.
Chacun en rit, encor que chacun sache
Qu'il a de quoi faire rire à son tour.
Les deux maris vont dans maint carrefour,
Criant, courant, chacun à sa manière,
Bâté le gendre, et sangé' le beau-père.
On doutera de ce dernier point-ci;
Mais il ne faut telles choses mécroire
Et par exemple, écoutez bien ceci.
Quand Roland sut les plaisirs et la gloire
Que dans la grotte avait eus son rival,
D'un coup de poing il tua son cheval.
Pouvait-il pas, traînant la pauvre bête,
Mettre de plus la selle sur son dos ?
Puis s'en aller, tout du haut de sa tête,
Faire crier et redire aux échos:
Je suis bâté', sanglé, car il n'importe,
Tous deux sont bons. Vous voyez de la sorte
Que ceci peut contenir vérité;
Ce n'est assez, cela ne doit suffire;
Il faut aussi montrer l’utilité
De ce récit; je m'en vais vous la dire.
L'heureux Damon me semble un pauvre sire.
Sa confiance eut bientôt tout gâté.
Pour la sottise et la simplicité
De sa moitié, quant à moi, je l'admire.
Se confesser à son propre mari !
Quelle folie ! imprudence est un terme
Faible à mon sens pour exprimer ceci.
Mon discours donc en deux points se renferme.
Le noeud d'hymen doit être respecté,
Veut de la foi, veut de l’honnêteté:
Si par malheur quelque atteinte un peu forte
Le fait clocher d'un ou d'autre côté,
Comportez-vous de manière et de sorte
Que ce secret ne soit point éventé.
Gardez de faire aux égards banqueroute;
Mentir alors est digne de pardon.
Je donne ici de beaux conseils, sans doute:
Les ai-je pris pour moi-même ? hélas ! non.

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Douzieme conte

Le tableau

Certains tableaux sont couverts par des rideaux.
On m'engage à conter d'une manière honnête
Le sujet d'un de ces tableaux
Sur lesquels ont met des rideaux.
Il me faut tirer de ma tête
Nombre de traits nouveaux, piquants et délicats
Qui disent et ne disent pas,
Et qui soient entendus sans notes
Des Agnès même les plus sottes;
Ce n'est pas coucher gros ; ces extrêmes Agnès
Sont oiseaux qu'on ne vit jamais.

Toute matrone sage, à ce que dit Catulle
Regarde volontiers le gigantesque don
Fait au fruit de Venus par la main de Junon
A ce plaisant objet si quelqu'une recule
Cette quelqu'une dissimule.
Ce principe posé, pourquoi plus de scrupule
Pourquoi moins de licence aux oreilles qu’aux yeux >
Puisqu'on le veut ainsi, je ferai de mon mieux:
Nuls traits à découvert n'auront ici de place
Tout y sera voile; mais de gaze; et si bien
Que je crois qu'on n'en perdra rien.
Qui pense finement, et s'exprime avec grâce,
Fait tout passer; car tout passe:
Je l'ai cent fois éprouvé:
Quand le mot est bien trouvé,
Le sexe en sa faveur à la chose pardonne:
Ce n'est plus elle alors, c’est elle encor pourtant:
Vous ne faites rougir personne,
Et tout le monde vous entend.
J'ai besoin aujourd'hui de cet art important.
Pourquoi, me dira-t-on, puisque sur ces merveilles,
Le sexe porte l'oeil sans toutes ces façons ?
Je réponds à cela: chastes sont ses oreilles
Encor que les yeux soient fripons.
Je veux, quoi qu’il en soit, expliquer à des belles
Cette chaise rompue, et ce rustre tombé:
Muses venez m'aider; mais vous êtes pucelles,
Au joli jeu d'amour ne sachant A ni B.
Muses ne bougez donc; seulement par bonté
Dites au dieu des vers que dans mon entreprise
Il est bon qu'il me favorise,
Et de mes mots fasse le choix,
Ou je dirai quelque sottise
Qui me fera donner du busque sur les doigts.

C’est assez raisonner; venons à la peinture.
Elle contient une aventure
Arrivée au pays d'Amours.
Jadis la ville de Cythère
Avait en l'un de ses faubourgs
Un monastère.
Venus en fit un séminaire.
Il était de nonnains, et je puis dire ainsi
Qu'il était de galants aussi.
En ce lieu hantaient d'ordinaire
Gens de cour, gens de ville, et sacrificateurs,
Et docteurs,
Et bacheliers surtout. Un de ce dernier ordre
Passait dans lz maison pour être des amis,
Propre, toujours rasé, bien disant, et beau fils
Son chapeau luisant, sur son rabat bien mis
La médisance n'eût su mordre.
Ce qu'il avait de plus charmant,
C’est que deux des nonnains alternativement
En tiraient maint et maint service.
L’une n’avait quitté les atours de novice
Que depuis quelque mois; l’ autre encor les portait:
La moins jeune à peine comptait
Un an entier par-dessus seize;
Age propre à soutenir thèse;
Thèse d'amour; le bachelier
Leur avait rendu familier
Chaque point de cette science
Et le tout par expérience.

Une assignation pleine d’impatience
Fut un jour par les soeurs donnée à cet amant;
Et pour rendre complet le divertissement,
Bacchus avec Cérès, de qui la compagnie
Met Venus en train bien souvent ,
Devaient être ce coup de la cérémonie.
Propreté toucha seule aux apprêts du régal.
Elle sut s'en tirer avec beaucoup de grâce.
Tout passa par ses mains, et le vin, et la glace,
Et les carafes de cristal.
On s'y seroit mire. Flore à l'haleine d'ambre
Sema de fleurs toute la chambre.
Elle en fit un jardin. Sur le linge ces fleurs
Formaient des lacs d'amour, et le chiffre des soeurs.
Leurs cloîtrières Excellences
Aimaient fort ces magnificences:
C'est un plaisir de nonne. Au reste leur beauté
Aiguisait l’appétit aussi de son côté.
Mille secrètes circonstances
De leurs corps polis et charmants
Augmentaient l'ardeur des amants.
Leur taille était presque semblable.
Blancheur, délicatesse, embonpoint raisonnable,
Fermeté, tout charmait, tout était fait au tour.
En mille endroits nichait l'amour,
Sous une guimpe, un voile, et sous un scapulaire
Sous ceci, sous cela que voit peu l’oeil du jour
Si celui du galant ne l'appelle au mystère.
A ces soeurs l'enfant de Cythère
Mille fois le jour s’en venait
Les bras ouverts, et les prenait
L'une après l'autre pour sa mère.

Tel ce couple attendait le bachelier trop lent;
Et de lui tout en l'attendant
Elles disaient du mal, puis du bien, puis les belles
Imputaient son retardement
A quelques amitiés nouvelles.
Qui peut le retenir, disait l'une, est-ce amour ?
Est-ce affaire? est-ce maladie?
Qu'il y revienne de sa vie,
Disait l'autre il aura son tour.
Tandis qu'elles cherchaient là-dessous du mystère,
Passe un Mazet portant à la dépositaire
Certain fardeau peu nécessaire.
Ce n'était qu'un prétexte, et selon qu'on m'a dit
Cette dépositaire ayant grand appetit
Faisait sa portion des talents de ce rustre
Tenu dans tels repas pour un traiteur illustre.
Le coquin lourd d'ailleurs, et de très court esprit
A la cellule se méprit.
Il alla chez les attendantes
Frapper avec ses mains pesantes.
On ouvre, on est surpris, on le maudit d'abord,
Puis on voit que c'est un trésor.
Les nonnains s’éclatent de rire.
Toutes deux commencent à dire,
Comme si toutes deux s'étaient donné le mot:
Servons-nous de ce maître sot.
II vaut bien l’autre ; que t’en semble ?
La professe ajouta : C’est très bien avisé
Qu’attendions-nous ici ? qu’il nous fût débité
De beaux discours? non non; ni rien qui leur ressemble.
Ce pitaud doit valoir pour le point souhaité
Bachelier et docteur ensemble.
Elle en jugeait très bien; la taille du garçon,
Sa simplicité, sa façon,
Et le peu d’intérêt qu'en tout il semblait prendre,
Faisaient de lui beaucoup attendre.
C'était l'homme d'Esope; il ne songeait à rien
Mais il buvait et mangeait bien;
Et si Xantus l'eût laissé faire,
Il aurait poussé loin l'affaire.
Ainsi bientôt apprivoisé,
Il se trouva tout disposé
Pour exécuter sans remise
Les ordres des nonnains, les servant à leur guise
Dans son office de mazet
Dont il lui fut donne par les soeurs un brevet.

Ici la peinture commence:
Nous voilà parvenus au point;
Dieu des vers, ne me quitte point;
J'ai recours à ton assistance.
Dis-moi pourquoi ce rustre assis,
Sans peine de sa part, et très fort à son aise
Laisse le soin de tout aux amoureux soucis
De soeur Claude, et de soeur Thérèse.
N'aurait-il pas mieux fait de leur donner la chaise ?
Il me semble déjà que je vois Apollon
Qui me dit: Tout beau; ces matières
A fond ne s'examinent guères.
J'entends; et l'Amour est un étrange garçon.
J'ai tort d’ériger un fripon
En maître des cérémonies.
Dès qu'il entre en une maison,
Règles et lois en sont bannies:
Sa fantaisie est sa raison.
Le voilà qui rompt tout; c'est assez sa coutume.
Ses yeux sont violents. A terre on vit bientôt
Le galant cathédral; ou soit par le défaut
De la chaise un peu faible; ou soit que du pitaud
Le corps ne fût pas fait de plume ;
Ousoit que soeur Thérèse eût chargé d'action
Un discours véhément, et plein d’émotion ;
On entendit craquer l’amoureuse tribune..
Le rustre tombe à terre en cette occasion.
Ce premier point eut par fortune
Malheureuse conclusion.

Censeurs, n’approchez point d'ici votre oeil profane.
Vous gens de bien, voyez comme soeur Claude mit
Un tel incident à profit.
Thérèse en ce malheur perdit la tramontane.
Claude la débusqua, s’emparant du timon.
Thérèse pire qu'un démon
Tâche à la retirer, et se remettre au trône;
Mais celle-ci n'est pas personne
A céder un poste si doux.
Soeur Claude prenez garde à vous;
Thérèse en veut venir aux coups;
Elle a le poing levé. Qu'elle ait. C'est bien répondre;
Quiconque est occupé comme vous, ne sent rien.
Je ne m’étonne pas que vous sachiez confondre
Un petit mal dans un grand bien.
Malgré la colère marquée
Sur le front de la débusquée
Claude suit son chemin, le rustre aussi le sien;
Thérèse est mal contente et gronde.
Les plaisirs de Vénus sont sources de débats.
Leur fureur n'a point de seconde.
J'en prends à témoin les combats
Qu'on vit sur la terre et sur l'onde,
Lorsque Paris à Ménélas
Ota la merveille du monde.
Qu’un pitaud faisant naître un aussi grand procès
Tint ici lieu d’Hélène, une foi sans excès
Le peut croire, et fort bien; troublez nonne en sa joie,
Vous verrez la guerre de Troie.
Quoique Bellone ait part ici,
J'y vois peu de corps de cuirasse,
Dame Vénus se couvre ainsi
Quand elle entre en champ clos avec le dieu de Thrace
Cette armure a beaucoup de grâce.
Belles vous m'entendez: je n'en dirai pas plus:
L'habit de guerre de Vénus
Est plein de choses admirables !
Les Cyclopes aux membres nus
Forgent peu de harnois qui lui soient comparables:
Celui du preux Achille aurait été plus beau,
Si Vulcan eût dessus gravé notre tableau.

Or ai-je des nonnains mis en vers l'aventure,
Mais non avec des traits dignes de l'action;
Et comme celle-ci déchet dans la peinture,
La peinture déchet dans ma description:
Les mots et les couleurs ne sont choses pareilles,
Ni les yeux ne sont les oreilles.

J'ai laissé longtemps au filet
Soeur Thérèse la détrônée.
Elle eut son tour: notre mazet
Partagea si bien sa journée
Que chacun fut content. L'histoire finit là;
Du festin pas un mot: je veux croire, et pour cause,
Que l'on but et que l'on mangea:
Ce fut l’intermède et la pause.
Enfin tout alla bizn, hormis qu’e, bonne foi
L’heure du rendez-vous m’embarrasse, et pourquoi?
Si l’amant ne vint pas, Sœur Claude et sœur Thérèse
Eurent à tout le moins de quoi se consoler,
S'il vint, on sut cacher le lourdaud et la chaise,
L'amant trouva bientôt encore à qui parler.

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Treizieme conte

La couturiere

Une soeur fait venir son amant au couvent déguisé en couturière. Certaine soeur dans un couvent,
Avait certain amant en ville,
Qu'elle ne voyait pas souvent,
La chose, comme on sait, est assez difficile.
Tous deux eussent voulu qu'elle l'eût été moins,
tous deux à s'entrevoir apportaient tous leurs soins,
Notre soeur en trouva le secret la première,
Nonnettes en ceci manquent peu de talent.
Elle introduisit le galant
Sous le titre de couturière,
Sous le titre et l'habit aussi,
Le tour ayant bien réussi,
Sans causer le moindre scrupule,
Nos amants eurent soin de fermer la cellule,
Et passèrentle jour assez tranquillement
A coudre, mais Dieu sait comment,
La nuit vint, c'était grand dommage,
Quand on a le coeur à l'ouvrage.
Il fallut le quitter, Adieu, ma soeur, bonsoir,
Couturière, au revoir,
Et ma soeur fut au réfectoire
Un peu plus tard, et c'est là le facheux de l'histoire.
L'abesse l'aperçut, et lui dit en courroux,
Pourquoi donc venir la dernière?
Madame, dit la soeur, j'avais la couturière.
Vos guimpes ont donc bien des trous,
Pour la tenir une journée entière,
Quelle besogne avez-vous tant chez vous,
Où jusqu'au soir elle soit nécessaire?
Elle en avait encore, dit-elle, pour veiller,
Au métier qu'elle a fait, on a beau travailler,
On y trouve toujours à faire.



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Quatorzieme conte

Les Oyes de Frère Philippe



Femmes, j'écris aussi pour vous. Censeurs, ne perdez pas votre temps.
Je dois trop au beau sexe; il me fait trop d'honneur
De lire ces récits; si tant est qu'il les lise.
Pourquoi non? c'est assez qu'il condamne en son coeur
Celles qui font quelque sottise.
Ne peut-il pas sans qu'il le dise,
Rire sous cape de ces tours,
Quelque aventure qu'il y trouve?
S'ils sont faux, ce sont vains discours;
S'ils sont vrais, il les désapprouve.
Irait-il après tout s'alarmer sans raison
Pour un peu de plaisanterie?
Je craindrais bien plutôt que la cajolerie
Ne mît le feu dans la maison.
Chassez les soupirants, belles, souffrez mon livre;
Je réponds de vous corps pour corps:
Mais pourquoi les chasser? ne saurait-on bien vivre
Qu'on ne s'enferme avec les morts?
Le monde ne vous connaît guères,
S'il croit que les faveurs sont chez vous familières:
Non pas que les heureux amants
Soient ni phénix ni corbeaux blancs;
Aussi ne sont-ce fourmilières.
Ce que mon livre en dit, doit passer pour chansons.
J'ai servi des beautés de toutes les façons:
Qu'ai- je gagné ? très peu de chose;
Rien. Je m'aviserais sur le tard d'être cause
Que la moindre de vous commît le moindre mal!
Contons; mais contons bien; c'est le point principal;
C'est tout: à cela près, censeurs, je vous conseille
De dormir comme moi sur l'une et l'autre oreille.
Censurez tant qu'il vous plaira
Méchants vers, et phrases méchantes;
Mais pour bons tours, laissez-les là;
Ce sont choses indifférentes;
Je n'y vois rien de périlleux.
Les mères, les maris, me prendront aux cheveux
Pour dix ou douze contes bleus!
Voyez un peu la belle affaire!
Ce que je n'ai pas fait mon livre irait le faire!
Beau sexe, vous pouvez le lire en sûreté;
Mais je voudrais m'être acquitté
De cette grâce par avance.
Que puis-je faire en récompense?

Un conte ou l'on va voir vos appas triompher:
Nulle précaution ne les peut étouffer.
Vous auriez surpassé le printemps et l'aurore
Dans l'esprit d'un garçon, si des ses jeunes ans,
Outre l'éclat des cieux, et les beautés des champs,
Il eût vu les vôtres encore.
Aussi dès qu'il les vit il en sentit les coups;
Vous surpassâtes tout; il n'eut d'yeux que pour vous;
Il laissa les palais: enfin votre personne
Lui parut avoir plus d'attraits
Que n'en auraient à beaucoup près
Tous les joyaux de la Couronne.


Un garçon avait été élevé à l'écart du monde par son père.
On l'avait dès l'enfance élevé dans un bois.
Là son unique compagnie
Consistait aux oiseaux: leur aimable harmonie
Le désennuyait quelquefois.
Tout son plaisir était cet innocent ramage:
Encor ne pouvait-il entendre leur langage.
En une école si sauvage
Son père l'amena dès ses plus tendres ans.
Il venait de perdre sa mère;
Et le pauvre garçon ne connut la lumière
Qu'afin qu'il ignorât les gens:
Il ne s'en figura pendant un fort long temps
Point d'autres que les habitants
De cette foret; c'est-à-dire
Que des loups, des oiseaux, enfin ce qui respire
Pour respirer sans plus, et ne songer à rien.
Ce qui porta son père à fuir tout entretien,
Ce furent deux raisons ou mauvaises ou bonnes;
L'une la haine des personnes,
L'autre la crainte; et depuis qu'à ses yeux
Sa femme disparut s'envolant dans les Cieux,
Le monde lui fut odieux:
Las d'y gémir, et de s'y plaindre,
Et partout des plaintes ouïr,
Sa moitié le lui fit par son trépas haïr,
Et le reste des femmes craindre.
Il voulut être ermite; et destina son fils
A ce même genre de vie.
Ses biens aux pauvres départis,
Il s'en va seul, sans compagnie
Que celle de ce fils, qu'il portait dans ses bras:
Au fond d'une forêt il arrête ses pas.
(Cet homme s'appelait Philippe, dit l'histoire.)
Là, par un saint motif, et non par humeur noire,
Notre ermite nouveau cache avec très grand soin
Cent choses à l'enfant; ne lui dit près ni loin
Qu'il fut au monde aucune femme,
Aucuns désirs, aucun amour;
Au progrès de ses ans réglant en ce séjour
La nourriture de son âme.
A cinq il lui nomma des fleurs, des animaux;
L'entretint de petits oiseaux;
Et parmi ce discours aux enfants agréable,
Mêla des menaces du diable;
Lui dit qu'il était fait d'une étrange façon:
La crainte est aux enfants la première leçon.
Les dix ans expirés, matière plus profonde
Se mit sur le tapis: un peu de l'autre monde
Au jeune enfant fut révélé;
Et de la femme point parlé.
Vers quinze ans lui fut enseigné,
Tout autant que l'on put, l'auteur de la nature;
Et rien touchant la créature.
Ce propos n'est alors déjà plus de saison
Pour ceux qu'au monde on veut soustraire;
Telle idée en ce cas est fort peu nécessaire.
Quand ce fils eut vingt ans, son père trouva bon
De le mener à la ville prochaine.
Le vieillard tout cassé ne pouvait plus qu'à peine
Aller quérir son vivre: et lui mort après tout
Que ferait ce cher fils ? comment venir à bout
De subsister sans connaître personne ?
Les loups n'étaient pas gens qui donnassent l'aumône.
Il savait bien que le garçon
N'aurait de lui pour héritage,
Qu'une besace et qu'un bâton:
C'était un étrange partage.
Le père à tout cela songeait sur ses vieux ans.
Au reste il était peu de gens
Qui ne lui donnassent la miche.
Frère Philippe eût été riche
S'il eut voulu. Tous les petits enfants
Le connaissaient; et du haut de leur tête,
Ils criaient: Apprêtez la quête;
Voilà frère Philippe. Enfin dans la cité
Frère Philippe souhaité
Avait force dévots; de dévotes pas une;
Car il n'en voulait point avoir.
Sitôt qu'il crut son fils ferme dans son devoir,
Le pauvre homme le mène voir
Les gens de bien, et tente la fortune.
Ce ne fut qu'en pleurant qu'il exposa ce fils.
Le père l'emmène à la ville pour la première fois quand il a vingt ans. Le garçon y découvre un animal étrange... Voilà nos ermites partis.
Ils vont à la cité superbe, bien bâtie,
Et de tous objets assortie:
Le prince y faisait son séjour.
Le jeune homme tombe des nues
Demandait: Qu'est-ce là ? Ce sont des gens de cour.
Et là ? Ce sont palais. Ici ? Ce sont statues.
Il considérait tout: quand de jeunes beautés
Aux yeux vifs, aux traits enchantés,
Passèrent devant lui; dès lors nulle autre chose
Ne put ses regards attirer.
Adieu palais; adieu ce qu'il vient d'admirer:
Voici bien pis, et bien une autre cause
D'étonnement.
Ravi comme en extase à cet objet charmant:
Qu'est-ce là, dit-il à son père,
Qui porte un si gentil habit ?
Comment l'appelle-t-on ? ce discours ne plut guère
Au bon vieillard, qui répondit:
C'est un oiseau qui s'appelle oie.
O l'agréable oiseau ! dit le fils plein de joie.
Oie, hélas chante un peu, que j'entende ta voix.
Peut-on point un peu te connaître ?
Mon père je vous prie et mille et mille fois,
Menons-en une en notre bois;
J'aurai soin de la faire paître.



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Quinzieme conte

Le baiser rendu


Les gens sont des brebis
Guillot passait avec sa mariée.
Un gentilhomme à son gré la trouvant:
Qui t'a, dit-il, donné telle épousée ?
Que je la baise à la charge d'autant.
Bien volontiers, dit Guillot à l'instant.
Elle est, Monsieur, fort à votre service.
Le Monsieur donc fait alors son office;
En appuyant; Perronnelle en rougit.
Huit jours après ce gentilhomme prit
Femme à son tour: à Guillot il permit
Même faveur. Guillot tout plein de zèle:
Puisque Monsieur, dit-il, est si fidèle,
J'ai grand regret et je suis bien fâché
Qu'ayant baisé seulement Perronnelle,
Il n'ait encore avec elle couché.

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seizieme conte

Labbesse malade

Les gens sont
des brebis L'exemple sert, l'exemple nuit aussi:
Lequel des deux doit l'emporter ici,
Ce n'est mon fait; l'un dira que l'Abbesse
En usa bien, l'autre au contraire mal,
Selon les gens: bien ou mal je ne laisse
D'avoir mon compte, et montre en général,
Par ce que fit tout un troupeau de Nones,
Que Brebis sont la plupart des personnes;
Qu'il en passe une, il en passera cent,
Tant sur les gens est l'exemple puissant.
Le monde n'est qu'une franche moutonnaille. Je le répète, et dis, vaille que vaille,
Le monde n'est que franche moutonnaille.
Du premier coup ne croyez que l'on aille
A ses périls le passage sonder;
On est longtemps a s'entre-regarder;
Les plus hardis ont-ils tenté l'affaire,
Le reste suit, et fait ce qu’il voit faire.
Qu'un seul mouton se jette en la rivière,
Vous ne verrez nulle âme moutonnière
Rester au bord, tous se noieront à tas.
Maître François en conte un plaisant cas.
Ami lecteur, ne te déplaira pas,
Si sursoyant ma principale histoire
Je te remets cette chose en mémoire.
Panurge allait l’oracle consulter.
Il naviguait, ayant dans la cervelle,
Je ne sais quoi qui vint l’inquiéter.
Dindenaut passe; et médaille l'appelle
De vrai cocu. Dindenaut dans sa nef
Menait moutons. Vendez-m'en un, dit l'autre.
Voire, reprit Dindenaut, l'ami notre,
Penseriez-vous qu'on put venir à chef
D'assez priser ni vendre telle aumaille ?
Panurge dit: Notre ami, coûte et vaille,
Vendez-m'en un pour or ou pour argent.
Un fut vendu. Panurge incontinent
Le jette en mer; et les autres de suivre.
Au diable l'un , à ce que dit le livre,
Qui demeura. Dindenaut au collet
Prend un bélier, et le bélier l’entraîne.
Adieu mon homme: il va boire au godet.
Or revenons: ce prologue me mène
Un peu bien loin. J'ai posé dès l'abord
Que tout exemple est de force très grande:
Et ne me suis écarté par trop fort
En rapportant la moutonnière bande
Car notre histoire est d'ouailles encor.

Agnès passa, puis une autre Soeur, et puis une:
Tant qu'à passer s'entre-pressant chacune
On vit enfin celle qui les gardait
Passer aussi: c'est en gros tout le conte:
Voici comment en détail on le conte.
Une abbesse est
malade. Elle va
mourir si on ne
lui donne un amant. Certaine abbesse un certain mal avait
Pâles couleurs nommé parmi les filles:
Mal dangereux, et qui des plus gentilles
Détruit l’éclat, fait languir les attraits.
Notre malade avait la face blême
Tout justement comme un saint de careme,
Bonne d'ailleurs, et gente à cela près.
La Faculté sur ce point consultée,
Après avoir la chose examinée,
Dit que bientôt Madame tomberait
En fièvre lente, et puis qu'elle mourrait.
Force sera que cette humeur la mange;
A moins que de. .. l’a moins est bien étrange
A moins enfin qu'elle n'ait à souhait
Compagnie d'homme. Hippocrate n'a pas
Choisi ses mots, ni ne les arrangea.
Jésus, reprit toute scandalisée
Madame Abbesse: hé que dites-vous là ?
Fi. Nous disons, repartit à cela
La Faculté, que pour chose assurée
Vous en mourrez, à moins d'un bon galant
Bon le faut-il, c'est un point important:
Autre que bon n'est ici suffisant
Et si bon n'est deux en prendrez Madame.
Ce fut bien pis; non pas que dans son âme
Ce bon ne fût par elle souhaité
Mais le moyen que sa communauté
Lui vît sans peine approuver telle chose ?
Honte souvent est de dommage cause.
Soeur Agnès se propose
d'essayer un galant pour
encourager l'Abbesse. Sœur Agnès dit : Madame croyez-les.
Un tel remède est chose bien mauvaise,
S'il a le goût méchant à beaucoup près
Comme la mort. Vous faites cent secrets
Faut-il qu'un seul vous choque et vous déplaise ?
Vous en parlez, Agnès, bien à votre aise,
Reprit l'abbesse: or ,ca, par votre Dieu,
Le feriez-vous ? mettez-vous en mon lieu.
Oui da, Madame; et dis bien davantage:
Votre santé m'est chère jusque-là
Que s’il fallait pour vous souffrir cela,
Je ne voudrais que dans ce témoignage
D'affection pas une de céans
Me devançât. Mille remerciements
A Sœur Agnès donnés par son abbesse
La Faculté dit adieu là-dessus
Et protesta de ne revenir plus.
Tout le couvent se trouvait en tristesse,
Quand sœur Agnès qui n’était de ce lieu
La moins sensée, au reste bonne lame,
Dit a ses sœurs: Tout ce qui tient Madame
Est seulement belle honte de Dieu.
Par charité n'en est-il point quelqu'une
Pour lui montrer l'exemple et le chemin ?
Cet avis fut approuvé de chacune:
On l'applaudit, il court de main en main.
Pas une n’est qui montre en ce dessein
De la froideur, soit nonne, soit nonnette,
Mère prieure, ancienne, ou discrète,
On fait courrir le mot
et de nombreux galants
se présentent. D'autres
soeurs la suivent. Le billet trotte: on fait venir des gens
De toute guise, et des noirs, et des blancs,
Et des tannés L'escadron, dit l'histoire,
Ne fut petit, ni comme l'on peut croire
Lent à montrer de sa part le chemin.
Ils ne cédaient à pas une nonnain
Dans le désir de faire que Madame
Ne fut honteuse, ou bien n'eût dans son âme
Tel récipé possible à contrecœur
De ses brebis à peine la première
A fait le saut, qu'il suit une autre sœur.
Une troisième entre dans la carrière.
Nulle ne veut demeurer en arrière.
Presse se met pour n’être la dernière
Finalement l'Abbesse se
décide et un jouvenceau
lui fait son affaire. . Que dirais-je de plus? enfin l’impression
Qu'avait l'abbesse encontre ce remède,
Sage rendue à tant d'exemples cède.
Un jouvenceau fait l’opération
Sur la malade. Elle redevient rose,
Œillet, aurore, et si quelque autre chose
De plus riant se peut imaginer.
Ô doux remède, ô remède à donner,
Remède ami de mainte créature,
Ami des gens, ami de la nature,
Ami de tout, point d'honneur excepté.
Point d'honneur est une autre maladie -
Dans ses écrits Madame Faculté
N'en parle point. Que de maux en la vie !

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Dixseptième conte

Le villageois qui cherche son veau


Un villageois cherche son veau. Il monte sur un arbre et deux amants viennent s'étendre dessous. Un villageois ayant perdu son veau,
L'alla chercher dans la forêt prochaine
Il se plaça sur l'arbre le plus beau,
Pour mieux entendre, et pour voir dans la plaine.
Vient une dame avec un jouvenceau
Le lieu leur plaît, l'eau leur vient à la bouche
Et le galant, qui sur l'herbe la couche,
Crie en voyant je ne sais quels appas:
O dieux, que vois-je, et que ne vois-je pas !
Sans dire quoi; car c'étaient lettres closes.
Lors le manant les arrêtant tout coi.
"Homme de bien, qui voyez tant de choses,
Voyez-vous point mon veau ? dites-le moi."

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dix-huitieme et dernier conte

Le rossignol



Impossible
de garder les
filles vierges
aujourd'hui
POUR garder certaine Toison,
On a beau faire sentinelle ;
C’est temps perdu, lorsque qu’une Belle
Y sent grande démangeaison :
Un adroit et charmant Jason
Avec l’aide de la Donzelle,
Et de Maître expert Cupidon
Trompe facilement & Taureaux & Dragon.
La contrainte est l’écueil à la pudeur des Filles.
Les Surveillants, les verroux & les grilles
Sont une faible digue à leur tempérament.
A douze ans aujourd’hui point d’Agnes ; à cet âge
Fillette nuit & jour s’applique uniquement
A trouver les moyens d’endormir finement
Les Argus de son pucelage.
Larmes de Crocodile, yeux lascifs, doux langage,
Soupirs, sourires flatteurs, tout est mis en usage,
Quand il s’agit d’attraper un Amant.
Je n’en dirai pas davantage,
Lecteur, regardez seulement,
La finette Cataut jouer son personnage
Et comment elle met le Rossignol en cage ;
Après je m'en rapporte à votre jugement.


Catherine (Cataut),
quatorze ans,
était amoureuse
d'un homme
mais la mère
l'empèchait de
consommer son
amour. Dans une ville d'Italie,
Dont je n'ai jamais su le nom,
Etait une fille fort jolie,
Son père était Messire Varambon :
Boccace ne dit pas comment on nommait la mère;
Aussi cela n'est pas trop utile à savoir;
La fille s'appelait Catherine; et pour plaire
Elle avait amplement de tout ce qu'il faut avoir;
Age de quatorze ans, teint de lis et de rose
Beaux yeux, belle gorge et beaux bras,
Grands préjugés pour les secrets appas.
Le lecteur pense bien qu'avec toutes ces choses,
Fillette manque rarement
D'un Amant.

Aussi n'en manqua [pas] la pucelle;
Richard la vit, l'aima, dit tant en peu de jours
Par ses regards, par ses discours,
Qu'il alluma pour lui dans le coeur de la Belle
La même ardeur qu'il ressentait pour elle.
L'un de l'autre déjà [ils] faisaient tout le plaisir;
Déjà mêmes langueurs, déjà même désirs,
Désirs de quoi ? Pas besoin de le dire,
Sans trop d'habileté l'on peut le deviner;
Quand un coeur amoureux à cet âge soupire,
On sait assez ce qu'il peut désirer.
Un point de nos Amants retardait le bonheur,
La mère aimait la fille avec tant d'ardeur,
Qu'elle n'aurait su vivre un seul moment sans elle;
Le jour elle était toujours pendue à son côté,
Et la nuit elle la faisait coucher avec elle.
Un peu moins de tendresse et plus de liberté,
Eût mieux accommodé la Belle.
Cet excès d'amour maternel
Est bon pour les petits enfants :
Mais fillette de quatorze ans
Bientôt s'en lasse et s'en ennuye.
Catherine un jour de sa vie
N'avait pu profiter d'un seul petit moment,
Pour entretenir son amant.
C'était pour tous les deux une peine infinie.
Quelque fois par hasard il lui serrait la main,
Quand il la trouvait en chemin;
Quelquefois un baiser pris à la dérobée;
Et puis c'est tout : mais qu'est-ce que cela ?
C'est proprement manger son pain à la fumée.
Tous deux étaient trop fins pour en demeurer là;
Or voici comment il en alla.
Les amants devisent
un stratagème pour
se voir seuls Un jour par un bonheur extrème
Ils se trouvèrent seuls sans mère et sans jaloux;
Que me sert, dit Richard, hélas, que je vous aime?
Que me sert d'être aimé de vous?
Cela ne fait qu'augmenter mon martyr;
Je vous vois, sans vous voir; je ne puis vous parler;
Si je me plains, si je soupire;
Il me faut tout dissimuler.
Ne saurait-on enfin vous voir sans votre mère?
Ne sauriez-vous pas trouver quelque moyen?
Helas ! Vous le pouvez, si vous le voulez bien:
Mais vous ne m'aimez pas. Si j'étais moins sincère,
Dit Catherine à son amant,
je vous parlerais autrement:
Mais le temps nous est cher ; voyons ce qu'il faut faire.
Il faudrait donc, dit Richard,
Si vous avez [pour] dessein de me sauver la vie,
Vous faire mettre une chambre à part,
Par exemple, à la galerie;
On pourrait vous y aller voir,
Sur le soir;
Alors que chacun se retire :
Autrement on ne peut vous parler qu'à demi;
Et j'ai cent choses à vous dire,
Que je ne puis vous dire ici.
Ce mot fit la belle sourire;
Elle se douta bien de ce qu'on lui dirait;
Elle promit pourtant au sire
De faire ce qu'elle pourrait.
La chose n'était pas facile :
Mais l'amour donne de l'esprit;
Et fait faire une Agnès habile;
Voici donc comment elle s'y prit.
Catherine fait du
bruit pendant la
nuit, et demande à
ses parents de lui
faire tendre un lit
sur la gallerie. Elle ne dormit point durant toute la nuit,
Ne fit que s'agiter, et mena tant de bruit,
Que ni son père ni sa mère
Ne purent fermer la paupière
Un seul moment.
Ce n'était pas grande merveille :
Fille qui pense à son amant absent,
Toute la nuit, dit-on, a la puce à l'oreille,
Et ne dort que fort rarement.
Dès le matin Cataut se plaignit à sa mère
Des puces de la nuit, du grand chaud qu'il faisait ;
On ne peut point dormir, Maman, s'il vous plaisait
De me faire tendre un lit dans cette galerie;
Il y fait bien plus frais, et puis dès le matin,
Du rossignol, qui vient chanter sous ce feuillage,
J'entendrais le ramage.
La bonne mère y consentit,
Va trouver son homme, et lui dit,
Cataut veut changer de lit,
Afin d'être au frais et d'entendre
Le Rossignol. Ah ! Qu'est ceci ?
Dit le bon homme, et quelle raillerie ?
Allez, vous êtes folle, et vôtre fille aussi,
Avec son Rossignol; qu'elle se tienne ici;
Il fera cette nuit ci
Plus frais que la nuit passée;
Et puis elle n'est pas, je crois,
Plus délicate que moi;
J'y couche bien. Cataut se tint fort offensée
De ce refus, et la seconde nuit
Fit cinquante fois plus de bruit,
Qu'elle n'avait fait la première,
Pleura, gémit, se dépita,
Et dans son lit se tourmenta,
D'une si terrible manière,
Que la mère s'en affligea,
Et dit à son mari, vous êtes bien maussade,
Et n'aimez guère votre enfant;
Vous vous jouez assurément
A la faire tomber malade:
Je la trouve déjà tout je ne sais comment;
Répondez-moi, quelle bizarrerie
De ne pas la coucher dans cette galerie ?
Elle est tout aussi près de nous.
A la bonne heure, dit l'époux,
Je ne saurais tenir contre femme qui crie;
Vous me feriez devenir fou;
Passez-en vôtre fantaisie;
Et qu'elle entende [de] tout son saoûl
Le Rossignol et la Fauvette.
Le lit est installé
et l'amant entre
pendant la nuit. Sans délai la chose fut faite.
Catherine à son père obéit promptement,
Se fait dresser un lit, fait signe à son amant
Pour le soir. Qui voudra savoir maintenant
Combien dura pour eux cette journée,
Chaque moment une heure, et chaque heure une année,
C'est tout le moins : mais la nuit vint ;
Et Richard fit si bien à l'aide d'une échelle,
Qu'un fripon de valet lui tint,
Qu'il parvint au lit de la Belle.
De dire ce qu'il s'y passa,
Combien de fois on s'embrassa,
En combien de façons l'Amant et la Maîtresse
Se témoignèrent leur tendresse,
Ce serait temps perdu; les plus doctes discours
Ne sauraient jamais faire entendre
Le plaisir des tendres amours;
Il faut l'avoir goûté pour pouvoir le comprendre.
Le Rossignol chanta pendant toute la nuit;
Et, quoiqu'il ne fit pas grand bruit,
Catherine en fut fort contente.
Celui, qui chante aux bois son amoureux souci,
Ne lui parut qu'un âne auprès de celui-ci :
Mais le malheur voulut que l'amant et l'amante
Trop faibles de moitié pour leur ardents désirs,
Et lassé par leurs doux plaisirs,
S'endormirent tous deux sur le point que l'Aurore
Commencait à s'apercevoir.
Le père, en se levant, fut curieux de voir
Si sa fille dormait encore.
Voyons un peu, dit-il, quel effet ont produit
Le chant du Rossignol, le changement de lit.
Il entre dans la galerie,
Et s'étant approché sans bruit,
Il trouva sa fille endormie.
Le père surprend
sa fille et son
amant au petit
matin A cause de la grande chaleur nos deux amants
Dormaient sans draps ni couvertures,
En état de pure nature.
Exactement comme on peint nos deux premiers parents,
Excepté qu'au lieu de la pomme,
Catherine avait dans sa main
Ce qui servit au premier homme
A conserver le genre humain.
Ce que vous ne sauriez prononcer sans scrupule,
Belles, qui vous piquez de sentiments si fiers,
Et dont vous vous servez pourtant très volontiers,
Si l'on en croit le bon Catulle.
Le bon homme à ses yeux à peine ajoute foi,
Mais, renfermant le chagrin dans son âme,
Il rentre dans sa chambre, et réveille sa femme.
Levez-vous, lui dit-il, et venez avec moi.
Je ne m'étonne plus pourquoi
Cataut vous témoignait si grand désir d'entendre
Le Rossignol, vraiment, ce n'était pas en vain :
Elle avait dessein de le prendre,
Et l'a si bien guetté qu'elle l'a dans sa main.
La mère se leva, pleurant presque de joie,
Un rossignol, vraiment, il faut que je le voie.
Est-il grand ? Chante-il ? Faira-t-il des petits ?
Hélas ! La pauvre enfant, commen l'a-t-elle pris ?
Vous allez le voir, reprit le père,
Mais surtout, songez à vous taire.
Si l'oiseau vous autant, c'est tout ca de perdu :
Vous gâterez tout le mystère.
Qui fut surpris ? Ce fut la mère,
Aussitôt qu'elle eut aperçu
Le Rossignol que tenait Catherine.
Elle voulut crier, et l'appeler catine,
Chienne, effrontée, enfin, tout ce qu'il vous plaira.
Peut-être faire pire, mais l'époux l'en empêcha.
Ce n'est pas de vos cris que nous avons à faire,
Le mal est fait, dit-il, et quand on pestera,
Ni plus ni moins il n'en fera.
Le père trouve un
moyen de réparer
le mal déjà
consommé. Savez-vous donc ce qu'il faut faire ?
Il faut réparer le mieux que l'on pourra.
Qu'on aille me quérir le Notaire,
Et le Prêtre et le Commissaire,
Avec leur aide tout s'arrangera.
Pendant tous ces discours, notre amant s'éveilla,
Et, voyant le soleil, hélas, dit-il, ma Chère,
Le jour nous a surpris, je ne sais comment faire
Pour m'en aller. Tout ira bien,
Lui répondit alors le père.
Voyez, Sire Richard, il ne me sert plus à rien
De me plaindre de vous, de me mettre en colère.
Vous m'avez fait outrage, il ne reste qu'un seul moyen
Pour m'apaiser, et pour me satisfaire.
Il vous faut ici, sans délai ni refus,
Sinon dites vôtre In manus,
Epouser Catherine ; elle est bien demoiselle.
Si Dieu ne l'a pas faite aussi riche que vous,
Au moins elle est jeune, et vous la trouvez belle.
S'exposer à souffrir une mort très cruelle,
Et cela seulement pour avoir refusé
De prendre pour femme une fille qu'on aime,
Ce serait, à mon sens, être mal avisé.
Aussi dans ce péril extrême,
Richard fut habile homme, et n'hésita pas
Entre la fille et le trépas.
Sa maîtresse avait des appas;
Il venait de goûter la nuit entre ses bras
Le plus doux plaisir de la vie;
Il n'avait pas apparamment envie
D'en partir aussi brusquement.
Et pendant que notre amant
Songe à se faire époux pour se tirer d'affaire,
Cataut se réveillant à la voix de son père,
Lâcha le Rossignol dessus sa bonne foi,
Et, tirant doucement le bout du drap sur soi,
Cacha les trois quarts de ses charmes.

Le notaire arrivé mit fin à leurs alarmes,
On écrivit et l'on signa.
Ainsi se fit le mariage;
Et puis, jusqu'à midi, chacun les laissa là.
Le père, en les quittant, leur dit, prenez courage,
Enfants, le Rossignol est maintenant en cage,
Il peut chanter tant qu'il voudra.


Contes et nouvelles en vers par Monsieur de La Fontaine
A Amsterdam chez Pierre Brunel, sur le Dam à la bible d'or, 1709
systèmes d'exploitation : Ubuntu-mate , Lubuntu ( linux ) et Windows 10
A la r'voyure
djef
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